Page:Ozanam - Œuvres complètes, 3e éd, tome 5.djvu/63

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lui prêtait tout le pouvoir que les troubadours attribuaient aux nobles femmes célébrées dans leurs vers le pouvoir d’arracher les âmes éprises d’elle aux pensées et aux penchants terrestres, de les élever jusqu’à la conversation des anges. Mais pendant que chez les troubadours ces amours platoniques n’étaient guère que des jeux d’esprit, l’invisible beauté qui avait ravi saint François lui arrachait les cris les plus passionnés. Ouvrez tous les poëtes du moyen âge, vous n’y trouverez pas de chant plus hardi, de paroles plus enflammées que cette prière du pénitent d’Assise :

« Seigneur, ayez pitié de moi et de madame la la Pauvreté. Et voici qu’elle est assise sur le fumier, elle qui est la reine des vertus ; elle se plaint de ce que ses amis l’ont dédaignée et se sont rendus ses ennemis. Souvenez-vous, Seigneur, que vous êtes venu du séjour des anges, afin de la prendre pour épouse, et d’en avoir un grand nombre de fils qui fussent parfaits. C’est elle qui vous reçut dans l’étable et dans la crèche, et qui, vous accompagnant tout le long de la vie, prit soin que vous n’eussiez pas où reposer la tête. Quand vous commençâtes la guerre de notre Rédemption, la Pauvreté vint s’attacher à vous comme un écuyer fidèle : elle se tint à vos côtés pendant le combat, elle ne se retira point quand les disciples prenaient la fuite.