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coucher où je pourrais !… Et tout ça, parce que j’ai perdu mon reçu.

— Comment, fait l’homme, c’est y dieu possible, ce que vous dites ?

— Eh oui, quoiqu’il vous en semble, c’est comme ça…

Et la bonne femme de raconter son histoire, que tout le village connaissait.

Ils arrivent enfin à la ville, les croquenots tout blancs de poussière ; en se quittant, la vieille promet à son compagnon un pater, tout ce qu’elle pouvait donner, pour le remercier de l’avoir accompagnée et sauvée du voleur des Foulanges.

— Gardez votre pater, la vieille, je m’en fous !… » Et là-dessus, l’homme entre dans une auberge où les paysans faisaient un potin du diable en lichant des pintes de vin.

… Le soir, la bonne femme s’en retournait toute seule ; elle n’avait plus peur ! Les 63 francs, c’était l’homme d’affaires qui les avait. Quant au reçu, elle l’avait piqué à sa grosse chemise avec une épingle, sur sa poitrine ; et elle le tâtait de temps à autre.

Le soleil, fermant son gros œil, se préparait à pioncer. À un détour du chemin, sur un rocher, elle reluque un grand diable d’homme ; quoique n’ayant plus un radis, elle eut froid dans le dos : « Le voleur des Foulanges ! » qu’elle se dit, et ses cheveux blancs de se raidir comme des baguettes de tambour.

— Ah, c’est vous l’homme, qu’elle fait en reconnaissant son compagnon du matin, vous m’avez fait autant de peur que si j’avais vu le loup ; j’ai cru que c’était le voleur des Foulanges.

— Hé, la vieille, voilà vos 63 francs, votre crapule d’homme d’affaires me les a rendus… Et vous savez, le voleur des Foulanges n’aime pas les paters.

Et d’un bond de cabri, il déguerpissait. Vous dire la gueule de la bonne femme, c’est pas la peine.

Comme vous le voyez, les camaros. le voleur des Foulanges n’était pas un mauvais fieu. Mais il était dit que la maréchaussée foutrait le grappin sur lui, — en traîtrise comme toujours, quand ces vaches ont affaire à un type à la redresse.

Oui, il était trop confiant, et un aubergiste, pour palper la grosse somme, le dénonça.

Par une nuit sans lune, les pandores rappliquèrent et le trouvèrent se chauffant les guêtres à la cheminée, son brûle-gueule aux dents. Houp ! Il saute sur son fusil. Trop tard, sang-dieu ! Il pousse un cri et tombe la tête ouverte. C’est l’aubergiste qui, d’un coup de landier, venait de l’assommer…

La mort du gas fut une vraie désolation dans la contrée. Les campluchards commencèrent par fiche en interdit l’auberge du crime. Dès lors, quand par hasard il y entrait quelqu’un, c’était un étranger, ignorant tout ce sale fourbi. Bientôt la vie fut intenable pour le chourineur. S’il mettait la gueule dehors, un concert de huées et une grêle de cailloux le forçaient à rentrer. Un matin, en entrant dans sa cave, il s’aperçut qu’il avait du vin jusqu’aux genoux : pendant la nuit on lui avait ouvert tous les robinets. Enfin, le Coq Rouge chanta sur sa cambuse qui fut réduite en cendres. Bref, le salaud dut transporter sa charogne à cinquante lieues de là… Bon débarras.

Quant au « voleur des Foulanges », il fut enterré dans un coin non bénit du cimetière. — Ça, il s’en foutait dans les grandes largeurs ! Il avait trop souvent raflé les trésors des ratichons et des capucinières, pour tenir à être goupillonné après décès.

Mais, une vingtaine d’années plus tard, le conseil cipal, qui par extraordinaire était à la hauteur, se dit qu’en somme ce terrible malfaiteur avait été un bon zigue, secourable aux miséreux et dur aux richards, — et on planta sur sa tombe les fleurs les plus mirobolantes. Maintenant encore, ce qu’il suce par la racine, ce n’est pas des pissenlits, c’est des rosiers, des géraniums et des lilas.

Heureusement, la race de ces grands brigands n’est pas tout à fait morte. Y en a encore pas mal en Turquie (Athanase, entre autres), et quelques-uns en Espagne et en Italie. Juste au moment où je grifouille le flanche, j’apprends deux riches coups qui viennent de se faire en Sicile.

Primo. — Aux environs de Cirgenti, une bande de bons lascars s’empare d’un convoi de mules. Puis, on se tire dans un château, on fait passer le goût de la brioche au proprio qui, depuis des temps, affamait toute la contrée ; on charge sur les bourricots tout ce qu’il y avait de précieux dans la turne, — et hue ! au grand trot !

Deuxièmo. — Une vingtaine de bougres, armés de clarinettes à répétition, de rigolos et de poignards, s’introdufibilisent dans le jardin du banquier Pulvérenti, à un saut de puce de Paterno, et y paument les deux héritiers de