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l’animal. Quand ils ont tenu ce beau gibier, ils ont écrit au paternel, demandant cent mille balles de rançon. La babillarde débutait ainsi :

« Tu as exploité jusqu’à plus soif les pauvres diables ; le moment est venu de dégorger une petiote part de ce que tu leur as barbotté… » Les conditions suivaient : l’estrangouillement des deux morceaux de salé, si le papa ne carmait pas.

Le banquier renaudait ferme, nom de dieu ! Il a foutu la rousse en chasse, mais bastha ! les brigands étaient précautionneux. S’il n’eut craint les débinages, il aurait sacrifié ses deux héritiers… La mort dans l’âme, il s’est décidé à leur sauver la mise, et à verser la belle monouille.

Les cambrioleurs de notre époque n’ont plus ces galbeuses façons : ils sont trop égoïstes et ne s’attaquent pas assez aux riches, — aussi, y a pas à dire, ils sont mal vus du populo.

Y en a qui font exception, ça c’est vrai.

Mais beaucoup trouvent plus commode de dévaliser les logements dont les habitant sont à leur turbin ; ceux-là sont des bourgeois en herbe et des mufles.

Le temps des diligences est passé, — c’est pas une raison pour foutre à sac les mansardes.

Mille marmites, puisque je suis en passe de prédictionner, que j’y aille tout du long, — voici ce que je flaire à l’horizon :

M’est avis que le beau, le grand, le rupin banditisme, va revenir à la mode… Oui, le réveil de l’initiative individuelle, la haine croissante contre les idées de propriété et d’autorité, la mistoufle toujours en progrès, — tout ça aura pour effet de lui refoutre de la vigueur.

Les gas ayant plein le cul de toute discipline, en pinçant pour les avaros et les aventures, voudront réagir, de vive lutte, contre les gnoleries de la société qui les étouffe bêtassement. Oui, cré tonnerre, dans le populo y aura des bougres râblés qui se foutront dans le banditisme par amour de l’art ; histoire de prouver leur audace et leur nerf, en attendant de pouvoir foutre en jeu, à la bonne franquette, leurs riches qualités, grâce à la Sociale anarchote.

… Et comme le populo verra que l’intérêt guide moins les lascars que l’envie de faire la guerre aux capitalos, il les aura à la bonne.

Les diligences ne sont plus de saison ? Eh bien, les brigands fin-de-siècle arrêteront les chemins de fer.

Qué que je dis ? Nous n’avons pas à poireauter pour voir le tableau : on les arrête déjà ! En Italie on a arrêté la Malle des Indes et aux États-Unis les trains qui font la navette entre New-York et San-Francisco ont parfois des surprises désagréables.

Ça semble espatrouillant, y a pourtant rien de bien malin : tout le monde sait qu’en vue des anicroches il suffit de poser des pétards pour que le train s’arrête…

Les lascars useront du truc ; ils colleront des pétards au bon endroit, et le train obéissant se jettera dans leurs bras.

Le reste n’est que de la gnognotte : avec bougrement de politesse ils passeront la visite sanitaire des voyageurs de première et de wagons-lits qui ont généralement le gousset bombé et la malle bien fournie.

Pour ce qui est des voyageurs de troisième, ils pourront naviguer en paix. Au contraire, s’il s’en trouve dans la panade, c’est avec plaisir que les bons bandits fin-de-siècle les tireront de ce guêpier.


JABOTAGE ENTRE BIBI ET UN FISTON

Le Fiston. — Père Peinard, j’ai quelques expliques à te demander. Et d’abord, pourquoi les anarchos s’appellent-ils compagnons, et non simplement citoyens ?

Bibi. — Des citoyens sont des types qui perchent dans le même patelin, « la même cité » comme disaient les Romains. Conséquemment des citoyens peuvent être divisés d’intérêts. Ainsi le roi des Grinches, Rothschild, est un citoyen de Paris… Tandis qu’un compagnon est un bon bougre de prolo, un bon fieu avec qui on partage son pain et ses misères, avec qui on est en communauté d’idées, d’espoirs et de besoins, — c’est un copain ! avec qui on marche la main dans la main.

En outre, le mot citoyen implique une idée