Page:Péguy - Œuvres en prose (extrait Sainte Geneviève patronne de Paris), 1951.djvu/11

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Vous qui la connaissez dans ses vices patents
Et ses foyers cachés et ses vertus latentes,
Et dans ses longs espoirs et ses mornes attentes,
Et dans son municipe et dans ses habitants,
Vous qui la connaissez dans ses jours éclatants
Et dans le lourd immeuble et dans toutes ses tentes,
Et dans son vieux principe et dans ses mésententes,
Et dans son avarice et ses deniers comptants,
Vous seule vous savez qu’elle est sacramentelle,
La ville déférente et pourtant pamphlétaire.

Vous qui la connaissez dans ses pauvres misères
Et dans la vanité de ses accablements,
Dans la solidité de ses enchaînements,
Dans sa gendarmerie et dans ses garnisaires,
Vous qui la connaissez dans vos anniversaires,
Et dans le soir tombé de ses apaisements,
Dans la frivolité de ses amusements,
Et moins dans ses tenants que dans ses adversaires,
Vous seule vous savez comme elle est solennelle,
La ville éblouissante et pourtant grabataire.

Et quand aura volé la dernière hirondelle,
Et quand il s’agira d’un bien autre printemps,
Vous entrerez première et par les deux battants
Dans la cour de justice et dans la citadelle.

On vous regardera, comme étant la plus belle,
Le monde entier dira : C’est celle de Paris.
On ne verra que vous au céleste pourpris,
Et vous rendrez alors vos comptes de tutelle.

Les galopins diront : C’est une vieille femme.
Et les savants diront : Elle est de l’ancien temps.
Voici sa lourde ville et tous ses habitants.
Et voici sa houlette et le soin de son âme.