Page:Péguy - Œuvres en prose (extrait Sainte Geneviève patronne de Paris), 1951.djvu/10

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Et dans ses mardis-gras et dans ses cavalcades,
Et dans tous ses autels et dans toutes ses croix,
Vous qui la connaissez dans son pavé de bois
Teint du même carnage et dans ses embuscades
Et dans ses quais de Seine et dans ses estacades
Et dans ses dures mœurs et son respect des lois,
Vous seule vous savez comme elle est fraternelle,
La ville décevante et pourtant signataire.

Vous qui la connaissez dans la force des armes
Et dans la fermeté de ses relâchements,
Dans la sévérité de ses épanchements,
Dans sa muette angoisse et son fleuve de larmes,
Vous qui la connaissez dans ses sacrés vacarmes
Et dans la dureté de ses retranchements,
Et dans l’humilité de ses amendements,
Et sa sécurité dans les pires alarmes,
Vous seule vous savez comme elle est rituelle,
La ville défaillante et pourtant légataire.

Vous qui la connaissez dans les gamins des rues
Et dans la fermeté de ses commandements,
Dans la subtilité de ses entendements,
Dans ses secrets trésors et ses forces accrues,
Et dans ses vétérans et ses jeunes recrues,
Et dans la fixité de ses engagements,
Et dans la sûreté de ses dégagements,
Et dans le Pont-Royal et les énormes crues,
Vous seule commandez la haute caravelle,
La ville menaçante et la destinataire.

Vous qui la connaissez dans ses vieilles maisons
Et dans tous les faubourgs de ses prolongements,
Et dans tous les quartiers de ses morcellements,
Et dans l’antiquité de ses vieilles raisons,
Vous qui la connaissez dans ses beaux horizons
Et dans le sourd fracas de ses ébranlements,
Dans la sourde rumeur de ses assemblements,
Dans la porte et le mur de ses vieilles prisons,
Vous seule connaissez la flamme et l’étincelle,
La ville intelligente et pourtant volontaire.