Page:Péguy - Œuvres en prose (extrait Sainte Geneviève patronne de Paris), 1951.djvu/9

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Dans l’honneur de sa face et dans ses tourbes viles,
Vous seule vous savez comme elle est colonelle,
La ville turbulente et pourtant militaire.

Vous qui la connaissez dans ses longues erreurs
Et la reconnaissez dans ses plus beaux retours,
Vous qui la connaissez dans ses longues amours
Et sa sourde tendresse et ses sourdes terreurs,
Et le commandement de ses lentes fureurs
Et le retournement des travaux et des jours,
Et le prosternement des palais et des tours,
Et le sang resté pur dans les mêmes horreurs,
Vous seule vous savez comme elle est maternelle,
La ville intempérante et pourtant salutaire.

Vous qui la connaissez dans le secret des cœurs
Et le sanglot secret de ses rugissements,
Dans la fidélité de ses attachements
Et dans l’humilité de ses plus grands vainqueurs,
Dans le sourd tremblement des plus ardents piqueurs
Et la foi qui régit ses accompagnements,
Et l’honneur qui régit tous ses engagements,
Et l’humeur qui régit ses plus grossiers moqueurs,
Vous seule vous savez comme elle est ponctuelle,
Votre ville servante et pourtant réfractaire.

Vous qui la connaissez dans ses secrets soupirs
Et dans les beaux regrets de ses arrachements,
Dans les roides rigueurs de ses empêchements,
Et dans le lent recul de ses longs avenirs,
Vous qui l’avez connue aux mains des triumvirs
Et la reconnaissez dans ses ménagements,
Jamais elle n’hésite au seuil de ses tourments
Et parfois elle hésite au seuil de ses plaisirs
Et seule vous savez comme elle est demoiselle,
La ville chancelante et jamais adultère.

Vous qui la connaissez dans le sang de ses rois
Et dans le vieux pavé des saintes barricades,