Page:Péladan - La Décadence latine - Éthopée IV, À cœur perdu, 1888.djvu/19

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bras immobiles ? Où va l’esprit quand il ouvre ses ailes immortelles au-dessus du corps harassé et dormant ?

Elle a gémi, elle a frémi ; un tressaut l’a secouée ; son bras nu rame dans l’air, puis retombe. Quelle chauve-souris écarte-t-elle ainsi ?

Brusquement, elle se convulse toute, comme pour tourner le dos à quelqu’un ou ne plus voir un spectacle obsédant : l’épaulette de la batiste casse et jaillit un sein jeune et battant, que l’imagination durcit.

Maintenant le rayon : de lune frappe la vitre d’un portrait singulier.

De face, les mains jointes sous le menton qui s’y appuie, l’œil béant et fasciné, tous les traits attentifs, en une excessive tension de l’entendement, l’admirable tête, allégorie d’une stupeur céleste, semble spectatrice du cauchemar qui torture cette femme endormie.

Car elle souffre ; ses gestes se défendent ; ses poses se dérobent ; sa poitrine halète.

Elle se rabat sur le dos, palpitante, avec un rictus de suffocation ; des deux mains elle ouvre sa chemise qui crie en se déchirant. La voilà presque nue ; quel Sélénus prend un baiser à cette Diane qui se cabre ? La pure jeune fille, certes, se débat.

Ô résistance vertueuse, vaine cependant !

Des ondes vibratoires semblent parcourir sa jambe nue, monter jusqu’aux hanches et la ceindre de hantise.