Page:Péladan - La Décadence latine - Éthopée IV, À cœur perdu, 1888.djvu/20

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Oh ! voyez-la, ses mains se joignent et supplient ; un nom qui avoue, un nom qui la dompte a jailli de ses lèvres séchées. Comment fermer les bras au fantôme du Bien-Aimé ? Elle les ouvre du geste sublime de la vierge qui se donne.

Dans la pénombre des rideaux, on a chuchoté très doucement.

Très doucement on a ri.

Ces bras ouverts sur le vide se renferment sur un coussin qu’ils étreignent ! elle plonge sa tête dans la plume comme au giron de l’Aimé ! Horrible rencontre de la douleur du désir et du grotesque de la chair.

Un cri s’étouffe, de volupté foudroyée par le réveil.

D’une main, elle lance le coussin qui va briser le cristal où des roses blanches agonisent ; de l’autre elle touche son flanc ; et dressée, farouche, dans l’auréole de ses cheveux emmêlés, la dormeuse fouille la claire chambre et s’étonne : la lune seule est entrée. Écartant ses cheveux, d’un geste d’Ophélie, elle passe ses mains sur son front. Un rêve, cela ? Mais son corps ne rêve pas et la sensation organique vibre encore, détestablement.

La vierge s’épouvante d’avoir été étreinte par l’intangible, de s’être donnée à l’inconnu ; et d’un élan peureux du diable, elle se précipite à son prie-Dieu.

« Ô Marie, sauvez-moi du Malin ; des souillures de la nuit, défendez-moi, ô Vierge immaculée ; ne permettez, Bon Ange, la traîtrise du Mauvais, qui lâchement m’attaque endormie ! »