Page:Pérochon-Le Chemin de plaine.djvu/16

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vivent cent ans, heureux, goguenards, narquois ! qu’ils vivent, ces vieux gaillards !

Ah ! il était temps, il était temps ! Je devenais encombrant pour mes proches.

Mon pauvre père qui était facteur n’a pas laissé grand’chose en mourant. Maman n’a qu’une petite maison et un maigre semblant de pension. Il est vrai qu’elle a une vache, petite aussi, une bretonne à robe pie qui a tout le ventre d’un côté. Elle la mène le long des routes en tricotant. Sa vache l’aide à vieillir assez doucement ; maman vend du lait, elle a du beurre.

Avoir du beurre ! combien ces simples mots éveillent en moi de souvenirs !

Au temps de mon enfance il y avait toujours chez nous du pain, des légumes, de la piquette, mais il n’y avait jamais assez de beurre. J’entends encore ma mère se lamenter :

— Ce fricot serait bon s’il y avait assez de beurre… Le poisson, c’est « la mort du beurre »… Nous ne sommes qu’à vendredi et la demi-livre est déjà mangée…

Je revois la motte pointue, le petit volcan jaune où le cratère se creusait, se creusait… Je revois le bol vide, avec, au fond, une goutte de petit lait ou de saumure. Je revois ce vieux finaud qui nous apportait des choux un soir ; il disait :

— Ces choux, voisine, c’est une fameuse espèce. Pour les apprêter, il faut gros comme ça de beurre.