Page:Pérochon-Le Chemin de plaine.djvu/17

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Il montrait le bout de son pouce.

— Vraiment, c’est une chance ! faisait ma mère

Mais l’autre :

— Oui, gros comme ça, voisine, gros comme ça en trop.

Hélas ! chez nous, c’était toujours gros comme ça en moins.

Comment aurait-il pu en être autrement ? Mon père gagnait quatre-vingt-cinq francs par mois ; il avait en plus les étrennes — une maigre aumône — et l’indemnité de chaussures, ridiculement faible.

À présent que l’image de mon père s’estompe en moi, se généralise, j’ai cependant, très net en mon souvenir, un geste de lui. Quand il avait enjambé ses vingt-cinq kilomètres quotidiens, mon père s’affalait sur une chaise et, lentement, avec deux « Ah ! » de soulagement, retirait ses brodequins ; puis il vérifiait les œillets, pétrissait les empeignes, tapotait les semelles.

— Ça lâche ! l’indemnité n’ira pas loin… une paire fichue…

« — Je n’ai plus de beurre…

— Un brodequin fichu… »

Comme ces médiocres souvenirs m’emplissent d’une douceur triste !

Maintenant, mon père n’a plus besoin de chaussures. Quant à ma mère, elle a du beurre ; elle en vend même ; mais elle a juste assez de pain. Jusqu’à présent je n’ai rien pu faire pour elle. Ma sœur,