— Oh ! le valet de chez nous n’est point un voleur.
— Ne vous y fiez pas ! En tous les cas, s’il ne vous vole pas, il vole les chasseurs honnêtes ; il me vole, moi !… Je ne le souffrirai pas.
Comme s’il se fût parlé à lui-même, M. Magnon continua avec une amertume évidemment sincère.
— Oui, ça vient se plaindre par-dessus le marché. Le monde change. Il y a seulement trente ans, on voyait bien plus de misère qu’on n’en voit aujourd’hui ; mais les malheureux de l’ancien temps mangeaient des pommes de terre avec leur pain noir et même quand ils n’avaient pas de pommes de terre, ils mangeaient leur pain tout sec. Cela ne les empêchait pas de vivre ; ils ne se plaignaient pas…
À présent, personne ne veut plus se tenir à sa place ; les riches ne se distinguent plus des travailleurs. Je vois des paysans presque aussi bien habillés que mes deux garçons ; les filles sont encore pires : coiffes de soie, rubans, bottines, tout le tralala. Ah ! la gloire est montée ! et la gourmandise aussi ! chez les fermiers et même chez les valets, on ne se prive plus ; le café, le sucre, le vin, tout ça roule ! il faut du beurre, il faut des œufs, il faut du lard. Bientôt, ils vont tous aller à la boucherie, ma parole ! Étonnez-vous après de voir tout enchérir. Pour vivre aujourd’hui, il faut des cents et des mille ; les propriétaires seront obligés de travailler comme les autres, nom d’un chien !
— Allons ! notre maître, ne vous tracassez pas ; il y en aura qui fléchiront avant vous ; m’est avis qu’il y en aura beaucoup.
M. Magnon se rengorgea, flatté.