Page:Pérochon - Les Creux de maisons.djvu/253

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et qui étaient mortes. Elles étaient trois et leurs images étaient en lui en même temps.

C’était d’abord la pauvre Pâturelle, morte de la toux au temps de la guerre. Il revoyait sa figure douce et triste et il se rappelait des choses puériles.

C’était ensuite la joie de sa jeunesse, la jolie meunière aux yeux d’eau, la bonne compagne plus brave que lui-même et plus gaie, la bonne compagne qu’un rêve de bonheur pour les siens avait tuée.

C’était enfin la dernière, la petite qui ressemblait aux deux autres et qui avait été plus malheureuse qu’elles.

Celle-ci, il la voyait pieds nus avec un bissac sur le dos. Il ne regrettait plus d’avoir volé pour elle ; il redisait tout bas son sobriquet de misère :

— Bas-Bleu, ma petite Bas-Bleu, tu n’iras plus aux portes ; tu n’auras plus jamais froid… Tu dois être heureuse maintenant… Bas-Bleu, je voudrais te rejoindre ; je voudrais être couché dans la terre tiède, là-bas au coin du cimetière, à côté de toi, à côté de ta mère et à côté de ma mère à moi que tu n’as pas connue et qui te ressemblait…

Il avait de la religion ; il n’ignorait pas qu’il est question dans les prières d’un paradis et d’une vie d’après. Mais ce sont des idées qu’on a parce qu’on a peur, ou parce qu’on aime, ou parce qu’on est plein d’orgueil ; dans le fond de son cœur il n’y croyait pas. Il savait comment les choses se dissolvent dans la terre et sa vision se précisant soudain, il eut un frisson d’horreur.

Il s’efforça de penser autrement, il lui vint des