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que la raison fût toujours prête à réprimer soudain les violents accès des passions situées au-dessous d’elle, et qu’elle pût, en quelque sorte, sonner la retraite d’un lieu élevé. Comme ce frein était plus nécessaire à la colère, elle a été mise plus à sa portée.

Pétrarque. Et avec raison. Pour vous montrer que j’ai puisé cette vérité non seulement dans les écrits des philosophes, mais encore dans ceux des poètes, par cette rage des vents que Virgile dépeint cachés dans de profondes cavernes, par ces montagnes superposées et par ce roi, assis au sommet, qui les dompte par son autorité, j’ai souvent pensé qu’il avait pu désigner la colère et les autres passions de l’âme qui bouillonnent au fond du cœur et qui, si elles n’étaient retenues par le frein de la raison, entraîneraient avec elles dans leur rapidité, comme dit le même poète, et balaieraient à travers l’espace la mer, la terre et les profondeurs des cieux[1]. En effet, par la terre, il a donné à entendre la matière terrestre du corps ; par la mer, l’eau dont il vit et par les profondeurs des cieux, l’âme qui habite dans un endroit retiré, et dont, il l’a dit lui-même ailleurs, un feu divin forme l’essence[2]. C’est comme s’il disait que ces passions précipiteront dans l’abîme le corps et l’âme, en un mot l’homme tout entier. D’autre part, ces montagnes et ce

  1. Énéide, I, 58-59.
  2. Ibid, VI, 730.