Page:Pétrarque - Mon secret, 1898.pdf/147

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injure de t’indiquer, à toi surtout, passé maître en cette matière, où se trouvent ces ouvrages et comment on doit les comprendre ; mais il ne sera peut-être pas hors de propos de t’avertir comment leur lecture et leur intelligence peuvent s’appliquer à ton salut. Premièrement, donc, au dire de Cicéron, quelques-uns pensent qu’on doit bannir un vieil amour par un amour nouveau, comme un clou en chasse un autre[1]. Ovide, qui est aussi un maître dans l’art d’aimer, partage cet avis et pose en principe que tout amour est vaincu par un nouveau successeur[2]. C’est la vérité, sans aucun doute, car l’esprit, divisé et partagé entre plusieurs objets, se porte vers chacun, avec moins d’énergie. Ainsi, le Gange, dit-on, fut divisé par le roi des Perses en d’innombrables canaux, et ce fleuve, profond et redoutable, fut coupé en mille petits ruisseaux méprisables ; ainsi une armée éparse est rendue pénétrable à l’ennemi ; ainsi un incendie étendu se ralentit ; enfin toute force unie croît, et dispersée diminue. Mais, d’un autre côté, voici ce que je pense à cet égard. Il est fort à craindre qu’en te dérobant à une passion unique, et, s’il est permis de le dire, plus noble, tu ne te laisses aller à plusieurs autres, et que d’amant tu ne deviennes coureur de femmes et libertin. Selon moi, s’il faut périr inévitablement, c’est une consolation de périr d’une plus noble maladie. Tu me demandes ce que je conseille. Je ne

  1. Tusculanes, IV, 35.
  2. Le Remède d’amour, 162.