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sesseurs : tu n’ajouteras rien à la gloire de ton Scipion, non plus qu’à la tienne ; il ne saurait être élevé plus haut et tu gravis péniblement derrière lui par un sentier oblique. Laissant donc cela de côté, rentre enfin on possession de toi-même, et, pour en revenir à notre point de départ, commence à songer à la mort dont tu approches insensiblement et sans le savoir. Déchirant les voiles et dissipant les ténèbres, aie les yeux fixés sur elle. Prends garde de ne passer ni un jour ni une nuit sans te retracer le souvenir de la dernière heure. Rapporte à elle seule tout ce qui s’offre soit à tes regards soit à ton esprit. Le ciel, la terre, la mer, subissent des changements ; que peut espérer l’homme, être si fragile ? les saisons accomplissent leur cours et le recommencent sans avoir jamais de stabilité. Si tu crois pouvoir être stable, tu te trompes : car, comme Horace l’a dit élégamment, ce que perd le ciel, les lunes rapides le réparent ; nous, une fois descendus auprès du pieux Énée, du riche Tullus et d’Ancus, nous sommes ombre et poussière[1].

Donc, chaque fois que tu vois succéder aux fleurs du printemps la moisson de l’été, aux chaleurs de l’été la douce température de l’automne, aux vendanges de l’automne la neige de l’hiver, dis-toi : « Les saisons passent, mais pour revenir, tandis que moi je m’en vais sans espoir de retour. » Chaque fois qu’au coucher du soleil tu vois

  1. Odes, IV, 7, 13-16.