Page:Pétrarque - Mon secret, 1898.pdf/57

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ne goûte ni n’attend la joie, à moins que vous ne soyez frappé de cette considération qu’à la fin le rire se changera en larmes amères ?

S. Augustin. Je remarque plutôt que le frein de la raison étant abandonné (et dans le plaisir suprême il l’est complètement) la chute est plus dangereuse que si l’on tombe de la même hauteur en retenant ce frein même faiblement. Mais je considère surtout ce que tu as dit précédemment : qu’il faut espérer la conversion de l’un et désespérer de celle de l’autre.

Pétrarque. C’est bien mon avis, mais en attendant, n’avez-vous point oublié ma première question ?

S. Augustin. Laquelle ?

Pétrarque. Qu’est-ce qui me retient ? Je vous avais demandé pourquoi suis-je le seul à qui la méditation approfondie de la mort, que vous dites si fructueuse, n’a point profité.

S. Augustin. D’abord, parce que tu envisages peut-être de loin ce qui en raison, soit de la très grande brièveté de la vie, soit des accidents incertains et divers, ne peut être éloigné. Ce qui nous trompe presque tous, comme dit Cicéron[1], c’est que nous voyons la mort de loin (prospicimus). Quelques correcteurs ou, pour mieux dire corrupteurs, ont voulu changer ce texte en mettant devant le verbe une négation et en soutenant qu’il fallait dire : Nous

  1. Sénèque, Lettres, I.