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parole, sortie d’une bouche humaine, a la puissance d’un oracle : L’avare manque toujours de tout ; mets une limite à tes vœux[1]. Or, quelle sera la limite de tes désirs ?

Pétrarque. Ni être dans le besoin, ni regorger de biens ; ni commander, ni obéir aux autres : voilà ma devise.

S. Augustin. Il faut dépouiller l’humanité et devenir Dieu, pour ne manquer de rien. Ignores-tu que, de tous les animaux, l’homme est celui qui a le plus de besoins ?

Pétrarque. Je l’avais entendu dire bien des fois, mais je voudrais m’en rafraîchir la mémoire.

S. Augustin. Vois-le nu et informe, naissant dans les vagissements et les larmes, consolé par quelques gouttes de lait, tremblant et rampant, ayant besoin d’une main étrangère, nourri et vêtu par la brute, le corps débile, l’esprit inquiet, assailli par des maladies de toutes sortes, sujet à des passions innombrables, privé de raison, agité tour à tour par la joie et par la tristesse, n’étant pas maître de soi, incapable de modérer ses appétits, ignorant ce qui lui est utile et dans quelle proportion cela lui est utile, ne sachant se borner dans le boire et le manger, obligé de se procurer à grand’peine des aliments que les autres animaux ont à leur portée, alourdi par le sommeil, gonflé par la nourriture, enivré par la boisson, exténué par les veilles, resserré par la faim, desséché par la soif, avide

  1. Horace, Épîtres, I, 2, 56.