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S. Augustin. Que veux-tu dire ? Explique-toi.

Pétrarque. Vous connaissez Virgile ; vous savez à travers combien de dangers il a promené son héros dans cette nuit suprême et horrible de la chute de Troie ?

S. Augustin. Oui, c’est un sujet rebattu dans toutes les écoles. Il lui fait raconter ses aventures. Qui pourrait peindre les désastres de cette nuit, raconter tant de morts et pour tant d’infortunes avoir assez de larmes ? Elle tombe cette antique cité si longtemps souveraine ? Des milliers de cadavres jonchent les rues, les maisons et le seuil sacré des temples. Mais le sang des Troyens n’est pas le seul qui soit répandu. Quelquefois aussi le courage renaît dans le cœur des vaincus, et les Grecs vainqueurs succombent à leur tour. Partout le deuil, partout l’épouvante, partout l’image de la mort[1].

Pétrarque. Or, tant qu’il erra, accompagné de Vénus, à travers les ennemis et l’incendie, il ne put voir, quoique ayant les yeux ouverts, la colère des dieux irrités, et, tant que cette déesse lui parla, il ne comprit que les choses d’ici-bas. Mais dès qu’elle l’eut quitté, vous savez ce qui advint : il vit aussitôt les visages courroucés des dieux, et il reconnut tous les dangers qui l’entouraient. Alors j’aperçois l’effrayante figure des dieux acharnés à la perte de Troie[2]. J’en ai déduit que le commerce de Vénus dérobe la vue de la divinité.

  1. Énéide, II, 361-369.
  2. Énéide, II, 622-623.