Page:Pétrone, Apulée, Aulu-Gelle - Œuvres complètes, Nisard.djvu/168

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

membres demandent un soin conforme à leurs fonctions. Cela est clair pour tout le monde ; aussi ne puis-je assez m'étonner et ne puis-je comprendre que l'homme ne cultive pas son âme à l'aide de sa raison. Car enfin il est nécessaire pour tous de savoir vivre. Il n'en est pas de même de la peinture ou de la musique : un honnête homme peut ignorer ces deux arts sans encourir le blâme ou l'infamie. Je ne sais pas jouer de la flûte comme Isménias, et je n'en suis pas honteux ; je ne sais pas peindre comme Apelle ou sculpter comme Lysippe, et je n'en rougis point : pour tout dire enfin, il est permis d'ignorer sans honte tous les talents de ce genre.

Chapitre 22

Mais dites, si vous l'osez : Je ne sais pas vivre comme Socrate, comme Platon, comme Pythagore, et je n'en rougis point. Vous n'oseriez jamais le dire. Et, chose étrange ! ce qu'on ne veut pas paraître ignorer, on néglige de l'apprendre ; on recule à la fois devant l'étude et devant l'ignorance de cet art ! Faites le compte des dépenses de chaque jour, vous en trouverez beaucoup de trop fortes et d'inutiles, et vous ne trouverez rien d'employé pour vous, c'est-à-dire, pour le culte de votre démon, culte qui n'est autre chose que la sainte pratique de la philosophie. Les hommes bâtissent de magnifiques maisons de campagne ; ils ornent splendidement leurs palais, ils grossissent le nombre de leurs esclaves ; mais dans tout cela, dans cette abondance, il y a quelque chose qui fait honte : c'est le maître lui-même. Et ce n'est pas à tort : ils rassemblent des richesses, et leur vouent un culte ; et eux-mêmes restent ignorants, grossiers et sans culture. Voyez ces édifices dans lesquels ils ont dépensé tout leur patrimoine : rien n'est plus riant, plus splendide ; ce sont des villas aussi grandes que des cités, des maisons ornées comme des temples, des valets nombreux et coiffés avec recherche, des meubles superbes, un luxe éblouissant ; tout est somptueux, tout est magnifique, excepté le maître lui-mème. Lui seul, comme Tantale, est pauvre : au milieu de ses richesses, il manque de tout ; il n'a pas envie d'un fruit qui lui échappe, ou soif d'une eau trompeuse ; mais il est altéré, il a faim du vrai bonheur, c'est-à-dire d'une vie calme et d'une heureuse sagesse. Il ne sait pas que l'on examine les riches comme les chevaux que l'on veut acheter.

Chapitre 23

Alors on ne considère pas le harnois du cheval, ni la selle, ni les ornements qui brillent à sa tête, ni les rênes parsemées d'or, d'argent et de pierreries, ni la richesse et l'art des objets qui entourent son cou, ni la ciselure de son frein, ni l'éclat et la dorure de ses sangles : mais on écarte tout cela, c'est le cheval nu que l'on regarde ; on examine son corps, son ardeur, la noblesse de sa marche, la rapidité de sa course et la force de ses reins. On regarde d'abord si, avant tout, "Il a le ventre court, l'encolure hardie, Une tête effilée, une croupe arrondie, Si l'on voit son poitrail de muscles se gonfler." Ensuite, si l'épine dorsale est double ; car nous voulons qu'il ait le mouvement rapide et doux. Pareillement, dans l'appréciation de l'homme, écartez tout ce qui lui est étranger ; examinez l'homme seul, réduit à lui-même, pauvre, comme mon Socrate. Au reste, j'appelle étranger à l'homme ce qu'il doit à ses parents et à la fortune ; car tout cela n'entre pas dans mon admiration pour Socrate. La noblesse, les aïeux, la généalogie, les