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Page:Pétrone, Apulée, Aulu-Gelle - Œuvres complètes, Nisard.djvu/292

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réduire en cendres et le palais et la fille et le père, cette autre Médée (c’est elle qui me l’a conté dernièrement, étant dans les vignes) n’eut besoin que d’opérer certaines pratiques sépulcrales autour d’une fosse, et soudain chaque habitant se vit claquemuré dans sa maison par la seule force du charme ; et cela, sans qu’il fût possible à personne de forcer une serrure, d’enfoncer une porte, de percer une muraille. Si bien qu’après deux jours de réclusion, c’était à qui proposerait de se rendre ; et tous criant à l’unisson, s’engagèrent sous les serments les plus sacrés à ne rien entreprendre contre elle, à la protéger même contre toute violence. Alors elle se laissa fléchir, et leva les arrêts de la ville. Quant à l’auteur du complot, toujours tenu en prison chez lui, par une belle nuit, lui et sa maison, sol, fondations et tout, furent transportés à cent milles de là sur une montagne à pic, où l’on manque d’eau. Et comme il s’y trouvait une ville dont les bâtiments pressés ne laissaient aucune place au nouveau venu dans leur enceinte, elle le planta là en dehors des portes.

Mon cher Socrate, repris-je alors, voilà qui est merveilleux, et qui n’est pas aussi gai. La peur me gagne à mon tour, et une peur qui compte. Vraiment je suis dans les transes. Si ta vieille, par ses intelligences surnaturelles, allait être instruite de nos propos ! Eh vite, dépêchons-nous de dormir ; et dès que le sommeil nous aura rendu les forces, éloignons-nous d’ici sans attendre le jour, et le plus tôt qu’il nous sera possible. Je parlais encore, que déjà le bon Socrate ronflait de son mieux, sous la double influence de la fatigue et du vin, dont il avait perdu l’habitude. Aussitôt je ferme la porte, j’assure les verrous, puis je me jette sur mon grabat, ayant pris la précaution de l’appuyer contre les battants en manière de barricade. La peur me tint d’abord éveillé et ce ne fut qu’à la troisième veille que mes yeux commencèrent à se fermer.

Je venais de m’assoupir. Tout à coup, avec un fracas qui n’annonçait pas des voleurs, la porte s’ouvre, ou plutôt elle est enfoncée par une force extérieure qui brise ou arrache les gonds, culbute ma petite couchette boiteuse et vermoulue, et me fait rouler sur le plancher. Là, je reste à plat ventre, emprisonné sous mon lit qui retombe sur moi et me cache tout entier. Je compris alors qu’il peut y avoir contraste entre le sentiment et sa manifestation extérieure. Souvent la joie fait verser des larmes. Moi, malgré l’épouvante qui m’avait saisi, je ne pus retenir un éclat de rire à cette métamorphose grotesque d’Aristomène en tortue. Tapi cependant sous cette cachette improvisée, je guettais tout inquiet, et en regardant de côté la suite de cette aventure. Je vois entrer deux femmes d’un âge avancé, dont l’une tenait une lampe et l’autre une éponge et une épée nue. Dans cet appareil, elles se placent aux deux côtés du lit de Socrate, qui continuait à dormir de plus belle ; et la femme au glaive parle ainsi : Panthia, ma sœur, le voilà ce bel Endymion, ce mignon chéri qui jour et nuit a usé et abusé de moi, pauvrette, et qui fait maintenant si bon marché de ma tendresse. C’est peu de me diffamer, il veut me fuir ; et moi, nouvelle Calypso, je n’aurai plus qu’à pleurer dans un veuvage éternel la perfidie et