Page:Pétrone, Apulée, Aulu-Gelle - Œuvres complètes, Nisard.djvu/294

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clef dans la serrure. Mais vingt fois je tourne et retourne en tous sens, avant que cette honnête, cette excellente fermeture qui, pendant la nuit, avait si bien su s’ouvrir d’elle-même, voulût enfin me livrer passage. Holà ! quelqu’un, m’écriai-je ; allons, qu’on m’ouvre, je veux partir avant qu’il soit jour. Le portier, qui était couché à terre, en travers de l’entrée, se réveille à moitié. Eh ! vous ne savez donc pas, dit-il, que les routes sont infestées de brigands, vous qui parlez de partir à cette heure de nuit ? Si quelque crime vous pèse sur la conscience, si vous avez assez de votre vie, nous n’en avons pas, nous, de rechange à mettre en péril pour l’amour de vous. Mais, lui dis-je, dans un instant le jour va paraître. Et d’ailleurs je suis si pauvre ! qu’est-ce que des voleurs pourraient me prendre ? Ne sais-tu pas, imbécile, que dix contre un, fussent-ils autant d’athlètes, ne peuvent dépouiller un homme tout nu ? Le portier n’avait fait que se tourner de l’autre côté, et déjà s’était à moitié rendormi. Bon ! dit-il ; et sais-je moi si vous n’avez pas expédié votre camarade, celui que vous amenâtes hier coucher avec vous ; et si vous ne cherchez pas à décamper de nuit pour plus de sûreté ? À ces mots (j’en frissonne encore) je crus voir la terre se fendre, me montrant l’abîme du Tartare et la gueule de Cerbère déjà béante pour me saisir.

Je vis bien alors que ce n’était pas par bonté d’âme que Méroé avait épargné mon cou ; l’aimable créature me réservait pour la croix. Rentré dans ma chambre, je cherchai à la hâte quelque moyen d’en finir avec la vie. Mais je n’avais là sous main que mon grabat pour instrument de suicide. Grabat, lui dis-je, mon cher grabat, compagnon de mes infortunes, témoin avec moi des scènes de cette nuit, seul témoin, hélas ! que je puisse citer de mon innocence devant mes juges, prête-moi ton secours pour descendre plus vite aux enfers. Tout en parlant, je démonte la sangle du fond, je la façonne en manière de hart, je l’assujettis par un bout à l’extrémité d’un chevron qui formait saillie au-dessus de ma fenêtre, et je fais à l’autre bout un nœud coulant. Puis me hissant sur mon lit, pour prendre le fatal élan de plus haut, je passe ma tête dans le nœud ; mais au moment où je repoussais du pied le point d’appui, afin que, par le poids du corps et la tension du lien, la strangulation s’opérât d’elle-même, la sangle, qui était vieille et moisie, se rompt tout à coup. Je tombe lourdement sur Socrate, dont le lit se trouvait au-dessous ; je l’entraîne dans ma chute, et nous voilà tous deux roulant sur le carreau

Là-dessus le portier entre brusquement, en criant à tue-tête : Où êtes-vous donc maintenant, homme si pressé qui voulez partir, jour ou nuit ? Vous ronflez sous la couverture. Je ne sais si ce fut la commotion, ou l’effet de cette voix discordante, mais voilà Socrate qui se réveille ; et, le premier sur pied : Que les voyageurs ont raison, dit-il, de maudire ces valets d’auberge ! Je dormais d’un si bon somme ! et il faut que ce drôle, qui n’entre ici que pour voler, je parie, vienne faire tapage et me réveiller en sursaut. O bonheur inespéré ! comme je me relevai joyeux et alerte ! Honnête portier, m’écriai-je avec effusion, le voilà mon bon camarade, mon bon père, mon bon frère, que tu m’accusais cette nuit, ivrogne que tu es, d’avoir assassiné ! Puis serrant Socrate entre mes bras, je le couvrais de