Page:Pétrone, Apulée, Aulu-Gelle - Œuvres complètes, Nisard.djvu/296

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lait choir, la tête la première, dans le fleuve, si je ne l’eusse retenu par un pied et ramené à grand effort sur la berge. Là, après quelques larmes données bien à la hâte à mon pauvre camarade, je couvre son corps de sable, et j’en confie, pour toujours, le dépôt au voisinage de la rivière. Alors, tremblant pour moi-même, je m’enfuis précipitamment par les passes les plus écartées, les plus solitaires. Enfin, la conscience aussi troublée que celle d’un meurtrier, j’ai dit adieu à mon foyer, à ma patrie, et je suis venu, exilé volontaire, m’établir en Étolie, où je me suis remarié.

Tel fut le récit d’Aristomène. Mais son compagnon s’obstinant dans son incrédulité première : Fables, archifables que tout cela, dit-il. C’est bien l’invention la plus absurde ! Puis, se tournant de mon côté : Quoi ! vous, homme bien élevé, à en juger par votre extérieur et vos manières, vous ajouteriez foi à ces balivernes ? Moi, repris-je, je crois qu’il n’est rien d’impossible, et que tout se fait ici-bas par prédestination. Il n’est personne, prenez vous, moi, le premier venu, à qui il n’arrive journellement des choses étranges, de ces choses sans exemple, et qu’on ne veut pas croire, si l’on n’y a soi-même passé. J’ai, quant à moi, confiance entière dans le récit de votre camarade, et je suis, d’ailleurs, très reconnaissant de l’aimable diversion qu’il s’est chargé de faire aux fatigues et aux ennuis du chemin. Tenez, je crois que ma monture s’en réjouit aussi ; car me voici rendu aux portes de la ville, sans avoir exercé que mes oreilles, et en ménageant d’autant l’échine de la pauvre bête. Ici nous cessâmes de causer et de faire route ensemble. On voyait de là quelques habitations sur la gauche, et mes deux compagnons tournèrent de ce côté.

Pour moi, je fis halte à la première auberge que je trouvai en entrant en ville ; et m’adressant à l’hôtesse, qui n’était pas des plus jeunes, je lui fis quelques questions : Est-ce bien ici Hypate ? — Oui. — Connaissez-vous Milon, l’un des premiers de la ville ? Elle partit d’un éclat de rire. Le premier sans contredit, reprit-elle ; car il demeure au Pomerium, tout à fait en dehors des murs. — Raillerie à part, ma bonne femme, dites-moi, je vous prie, quel homme c’est, et où il loge. — Voyez-vous ces fenêtres là-bas, qui donnent sur la rue ? On entre de l’autre côté par une impasse. C’est la maison de votre homme, richard s’il en fut, tout cousu d’or, mais ladre fieffé, et décrié universellement pour ses vilenies. Il gagne gros à prêter à usure, et sur bons gages d’or ou d’argent. Il vit renfermé dans son taudis, avec sa femme qui lui ressemble de tous points. Une servante, une jeunesse composent tout son domestique. Quand il sort, on le prendrait pour un mendiant.

Le portrait me fit rire. Mon ami Déméas a eu vraiment une attention délicate, en me donnant, à moi voyageur, une pareille recommandation. Voilà un logis où je ne serai incommodé ni de la fumée, ni de l’odeur de la cuisine. La maison n’était qu’à deux pas ; je m’y rends, et je frappe en appelant à haute voix. La porte était soigneusement verrouillée. Enfin, une jeune fille se présente. Vous n’y allez pas de main morte, dit-elle. Hé ! sur quel gage, s’il vous plaît, prétendez--