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Page:Pétrone, Apulée, Aulu-Gelle - Œuvres complètes, Nisard.djvu/299

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LIVRE DEUXIÈME.


Dès que la nuit se fut dissipée et qu’un nouveau soleil eut ramené le jour, je dis adieu au sommeil et au lit, avec cette curiosité fébrile d’un amateur du merveilleux. Enfin, me disais-je, me voici dans cette Thessalie, terre natale de l’art magique, et qui fait tant de bruit dans le monde par ses prodiges. C’est donc ici que s’est passé tout ce que ce bon Aristomène nous a conté en route ! J’éprouvais je ne sais quel désir vague et inquiet, et je promenais de toutes parts mes regards scrutateurs. Nul objet ne se présentait à ma vue, que je ne le prisse pour autre que ce qu’il était. Tout me semblait métamorphose. Dans les pierres, les oiseaux, les arbres du Pomérium, les fontaines de la ville, je voyais autant de créatures humaines, transmuées par la vertu des fatales paroles. Le charme avait pétrifié les uns, emplumé les autres, commandé à ceux-ci de pousser des feuilles, à ceux-là de faire jaillir l’eau du fond de leurs veines. Il me semblait que des statues allaient marcher, les murailles parler, le bétail prédire, et que, de la voûte des cieux, le soleil lui-même allait prononcer des oracles. J’allais et venais, frappé de stupeur, torturé par l’attente ; sans apercevoir même un commencement de réalisation de toute cette fantasmagorie. Enfin, tout en errant de porte en porte, me dandinant comme un désœuvré et marchant en zigzag comme un homme ivre, je me trouvai insensiblement au milieu du marché.

Une dame passait, avec un nombreux cortège de domestiques. Je hâtai le pas pour la joindre. Le luxe de ses pierreries, et l’or qui brillait sur ses vêtements, ici en tissu, là en broderie, annonçaient une dame de haut parage. Elle avait à ses côtés un homme d’âge avancé, qui s’écria en m’apercevant : Eh ! oui, c’est bien Lucius ! Là-dessus, il m’embrasse ; et marmottant je ne sais quoi à l’oreille de la dame : Approchez donc, me dit-il, et saluez votre mère. — Qui ? moi ? répondis-je ; je ne connais pas cette dame. Et, le rouge me montant au visage, je rejetai la tête en arrière, et reculai de quelques pas. La dame fixe alors son regard sur moi : Il tient de famille, dit-elle ; voici des traits où la belle âme de sa vertueuse mère Salvia respire tout entière. Et puis, quelles merveilleuses proportions dans toute sa personne ! Taille raisonnable, élancée sans être frêle, teint légèrement rosé, cheveux blonds, naturellement bouclés ; œil bleu, mais vif ; regard d’aigle, adouci par une expression toujours heureuse ; maintien charmant, démarche aisée.

C’est moi, mon cher Lucius, ajouta-t-elle, qui vous ai élevé de mes propres mains. Et la chose est toute simple : je suis parente, et, de plus, sœur de lait de votre mère. Issues toutes deux de la famille de Plutarque, nourries du même sein, nous avons grandi comme deux sœurs dans l’intimité l’une de l’autre. La seule différence entre nous est celle du rang. Elle a contracté une haute alliance ; et je me suis mariée dans la bourgeoisie. Je suis cette Byrrhène dont le nom, souvent prononcé par ceux qui vous élevaient, doit être familier à vos jeunes oreilles. Acceptez sans scrupule l’hospitalité chez moi, ou plutôt regardez ma maison comme la vôtre. Pendant qu’elle me parlait, ma rougeur s’était dissipée,