Aller au contenu

Page:Pétrone, Apulée, Aulu-Gelle - Œuvres complètes, Nisard.djvu/306

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

traits tout ce que les faveurs de Vénus incube ont de plus enivrantes voluptés, tant qu’enfin une molle langueur circule dans nos membres et s’empare de nos sens ; en nous toute force expire, et nous nous laissons aller haletants dans les bras l’un de l’autre. Les premiers rayons du jour vinrent nous surprendre dans nos amoureux ébats, sans que nous eussions fermé la paupière ; nous recourions aux libations de temps à autre. Alors nos forces renaissaient, le désir se ranimait, la lutte recommençait. Ce fut une nuit d’ivresse ; nous eûmes grand soin qu’elle eût plus d’une répétition.

Un jour Byrrhène m’invita de la manière la plus pressante à venir souper chez elle. En vain j’essayai de m’en défendre ; elle ne tint compte de mes excuses. Il me fallut donc présenter requête à Fotis, obtenir son congé, prendre ses auspices. Tout ce qui m’éloignait de ses côtés, ne fût-ce que d’un pas, était peu de son goût. Toutefois, elle consentit d’assez bonne grâce à ce court armistice. Au moins, dit-elle, ayez bien soin de quitter la table de bonne heure ; car il y a dans notre jeune noblesse un parti sans frein, ennemi juré de la paix publique : et vous rencontrerez des hommes égorgés en pleine rue. Les troupes du gouverneur sont trop loin de nous pour empêcher ces massacres. Votre position élevée fait de vous un point de mire ; et, comme étranger, vous avez moins qu’un autre de protection à attendre. Rassure-toi, ma chère Fotis, lui répondis-je ; je tiens plus à nos plaisirs qu’à tous les festins du monde ; et il suffit de ton inquiétude pour me faire presser mon retour. D’ailleurs, je ne marche pas seul. Et puis j’aurai au côté mon épée. C’est une sauvegarde qui ne me quitte pas.

Muni de cette précaution, je me rends à ce souper. J’y trouvai grande réunion, et, comme je m’y attendais, d’après le rang de la dame du logis, la meilleure compagnie de la ville. Les lits, d’une magnificence extrême, étaient en bois de citronnier avec des ornements d’ivoire, et recouverts d’étoffes brodées d’or. Sur la table de larges coupes, toutes diverses de forme et de beauté, toutes d’un prix inestimable. Ici le verre artistement ciselé, là le cristal taillé à facettes. L’argent brillait, l’or resplendissait. Il s’y trouvait jusqu’à des morceaux d’ambre cristallisé, que l’art avait creusé pour servir de vase à boire ; enfin un luxe inimaginable. Plusieurs écuyers tranchants, magnifiquement vêtus, découpaient les mets sans nombre que de jeunes filles servaient avec toute la grâce possible. De jeunes garçons qu’on avait frisés au fer, et élégamment drapés, ne cessaient de verser aux convives un vin vieux dans des vases faits de pierres précieuses. Bientôt l’arrivée des flambeaux donne l’essor aux propos de table ; le rire se communique, les bons mots circulent, et, parfois, l’épigramme étincelle.

Byrrhène alors m’adressa la parole : Que dites-vous de notre pays ? Aucune ville, que je sache, ne possède rien de comparable à nos temples, à nos bains, à nos édifices publics en général. Et nous ne sommes pas moins bien pourvus des choses utiles : chez nous l’homme de plaisir trouve les mêmes facilités, l’homme de négoce les mêmes débouchés qu’à Rome même ; et l’homme aux goûts tranquilles peut jouir ici du recueillement de la campagne. Tous les plaisirs de la province s’y sont donné rendez-vous. Rien n’est plus