Page:Pétrone, Apulée, Aulu-Gelle - Œuvres complètes, Nisard.djvu/307

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vrai, repris-je ; nulle part je ne me suis senti plus à l’aise. Mais il y a la magie, dont je redoute singulièrement les ténébreuses embûches et les pièges inévitables. Le tombeau même, dit-on, ne met pas à l’abri de ses atteintes. Elle dispute aux bûchers, aux sépulcres, les dépouilles des morts ; et des lambeaux, arrachés aux cadavres, deviennent les instruments de ses funestes pratiques contre les vivants. On parle de vieilles sorcières qui, au milieu même d’une pompe funèbre, savent escamoter un mort et frauder la sépulture. Bah ! dit alors une personne de la compagnie, on ne fait pas même ici grâce aux vivants. À qui donc est-il arrivé dernièrement de se trouver mutilé, défiguré au point d’en être méconnaissable ?

Aussitôt un rire immodéré s’empare de l’assemblée. Tous les yeux se tournent vers un convive qui se tenait à l’écart dans un coin, et qui, tout confus de se voir l’objet d’une attention si marquée, murmure quelques mots de dépit, et fait mine de se lever de table. Byrrhène lui dit alors : Allons, mon cher Télyphron, rasseyez-vous ; et, tenez, vous qui êtes si complaisant, racontez-nous encore une fois votre histoire. Je serais charmée de procurer à mon fils Lucius, que voilà, le plaisir de l’entendre de votre bouche. Madame, répondit Télyphron, vous êtes la bonté même ; mais il y a des gens d’une impertinence… Il paraissait outré. Mais Byrrhène, à force d’instances, finit par le décider pour l’amour d’elle. Ramenant alors la housse du lit en un monceau, comme point d’appui à son coude, il projette en avant le bras droit, et dispose ses doigts à la manière des orateurs, c’est-à-dire en fermant les deux derniers, et tenant étendus les autres, avec le pouce en saillie. Après ce préliminaire, notre homme commence ainsi :

J’étais encore en tutelle à Milet, quand l’idée me vint d’aller aux jeux olympiques. J’étais curieux au dernier point de visiter cette province célèbre. Après avoir parcouru toute la Thessalie, pour mon malheur j’arrive à Larisse. Le voyage m’avait mis des plus mal en espèces, et j’errais par la ville en rêvant aux expédients. Au milieu d’une place, j’aperçois un vieillard de haute taille, qui était monté sur une borne, et criait à pleine voix : Qui veut garder un mort ? Faites votre prix. Que signifie cette proclamation ? dis-je au premier passant. Avez-vous peur que vos morts ne s’enfuient ? Paix ! me répond-il, vous parlez en enfant et en étranger. Sachez que vous êtes en Thessalie. Il y a ici des magiciennes toujours prêtes à déchiqueter le visage des morts ; c’est l’élément principal de leurs conjurations. Et, s’il vous plaît, repris-je, pour cette lugubre faction quelle est la consigne ? Faire le guet toute la nuit, dit-il, les yeux tout grands ouverts et fixés sur le cadavre ; et il n’y a pas à cligner de la paupière, encore moins à regarder de droite ou de gauche : car ces maudits caméléons femelles se glissent soudain en tapinois, sous une forme quelconque ; l’œil du Soleil ou de la Justice y serait lui-même trompé. Elles se changent en chien, en souris, en mouche même, au besoin. Puis vite un enchantement ; et les gardiens s’endorment. On n’en finirait pas à décrire toutes les surprises imaginées par ces infernales créatures pour en