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Page:Pétrone, Apulée, Aulu-Gelle - Œuvres complètes, Nisard.djvu/314

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vérité, quoiqu’il fasse spontanément l’aveu du meurtre, comment persuadera-t-il de son innocence la nombreuse assemblée qui l’écoute ? Cependant, si votre humanité accorde un moment d’attention à ma défense, je démontrerai facilement que ce n’est point un crime volontaire qui me fait courir aujourd’hui le risque d’une condamnation capitale ; mais que le résultat bien fortuit d’un mouvement d’indignation légitime est le seul fondement de l’odieuse prévention qui m’amène devant vous :

J’avais soupé en ville, et je rentrais assez tard, ayant bu plus que de raison ; je n’hésite pas à en convenir. Arrivé devant la maison où je loge, celle de l’honorable Milon votre concitoyen, je vois des brigands déterminés qui tentaient de s’y introduire, en faisant sauter les gonds et en forçant la porte d’entrée. Déjà toute la fermeture, bien que des plus solides, avait cédé à leurs efforts, et il n’était plus question pour eux que de mettre à mort les habitants. Le plus désespéré de la bande, homme gigantesque, exhortait ainsi ses camarades : Alerte, enfants ! tombons vigoureusement sur ces dormeurs. Point de mollesse, point de quartier ! vite, l’épée au poing, promenons partout le carnage dans cette maison. Tuez dans leur lit ceux qui dorment, assommez ceux qui résisteront ; que personne n’échappe, si nous voulons en échapper nous-mêmes.

Je l’avouerai, citoyens, en présence de tels forcenés je ne vis que mon devoir d’honnête homme, que l’extrême danger qui menaçait la famille de mon hôte, que mon propre péril. Je tire une petite épée que je porte avec moi pour ces sortes de rencontres, et je fonds sur les brigands, espérant que cette démonstration les mettrait en fuite ; mais j’avais affaire à des sauvages, à des bêtes féroces. Au lieu de fuir en me voyant armé, ils se tournent résolument contre moi. Un véritable combat s’engage. L’un d’eux, le chef et l’orateur de la troupe, s’élance, et, de ses deux mains m’empoignant aux cheveux, me fait renverser la tête en arrière. Il va me l’écraser avec un pavé qu’il demande à grands cris, lorsque je le frappe moi-même d’une main sûre, et le jette à mes pieds. Le second s’était attaché à mes jambes, et me les mordait avec rage ; je prends mon temps, et lui plonge mon épée entre les deux épaules. Quant au troisième, au moment où il se lançait à corps perdu sur moi, je présente le fer, et ma lame lui traverse la poitrine. J’avais combattu pour le bon ordre, protégé la maison de mon hôte, la vie de vos concitoyens. Je me croyais non seulement à l’abri de tout reproche, mais en droit d’attendre un témoignage de la reconnaissance publique. J’ajoute que jamais prévention même la plus légère ne s’éleva contre moi, et que je jouis dans mon pays de la considération qu’on mérite quand on met une conscience pure au-dessus de tous les biens. Enfin, je ne puis comprendre que, pour avoir usé contre des brigands du droit de légitime défense, une telle accusation vienne peser sur ma tête, quand on ne peut arguer contre moi, ni d’aucun précédent d’inimitié, que dis-je ? de relations quelconques avec ces misérables, non plus que d’aucun instinct de cupidité qui ait pu me pousser à tremper mes mains dans leur sang.

Ayant ainsi parlé, de nouveau je fonds en pleurs, et, joignant mes mains suppliantes, je vais de l’un à l’autre implorant leur merci, au nom de l’humanité et de tout ce qu’ils ont de