Page:Pétrone, Apulée, Aulu-Gelle - Œuvres complètes, Nisard.djvu/313

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tribunal. Déjà les magistrats avaient pris place sur l’estrade, et l’huissier commandait le silence, quand, tout d’une voix, l’assemblée se récrie contre les dangers d’une agglomération si considérable dans un si étroit espace ; et l’on demande que, en raison de son importance, la cause soit jugée au théâtre. La foule aussitôt prend les devants, et, en un clin d’œil, l’enceinte du théâtre est encombrée. Les couloirs, les combles même sont envahis. Quelques spectateurs embrassent les piliers, d’autres se suspendent aux statues. Il n’y a pas jusqu’aux fenêtres et aux lucarnes où quelque curieux ne se montre jusqu’à mi-corps. L’intérêt de la scène étouffait tout sentiment de danger. J’avance toujours du pas d’une victime, entouré de mes gardes, qui me font traverser le Proscenium, et me placent au milieu de l’orchestre. De nouveau la voix de Stentor de l’huissier se fait entendre. Un vieillard se lève ; c’était l’accusateur : il prend un petit vase dont le fond s’allonge en entonnoir, il le remplit d’une eau qui s’en écoule goutte à goutte, et prononce le discours suivant :

Honorables citoyens, cette affaire est des plus graves. La sécurité de toute la ville est en cause, et réclame un grand exemple. L’intérêt général, le bien-être individuel, la vindicte publique, veulent également que l’atroce meurtrier dont la main impitoyable s’est baignée dans le sang de tant de victimes, ne puisse obtenir ici l’impunité. Et ne croyez pas qu’en ce moment j’écoute aucun ressentiment personnel. C’est moi qui commande le guet ; et je crois qu’on ne m’accuse pas de manquer de vigilance ni de zèle. Voici le détail de l’événement de cette nuit ; je serai exact. Vers la troisième veille, comme je faisais ma ronde de porte en porte avec la plus scrupuleuse surveillance, j’aperçois ce jeune scélérat, l’épée au poing, qui semait autour de lui le carnage. Déjà sa cruauté s’était immolé trois victimes. Les corps étaient à ses pieds, palpitants encore, et noyés dans des flots de sang. Justement effrayé de l’énormité de son crime, il a soudain pris la fuite et s’est glissé dans une maison, à la faveur des ténèbres ; il s’y est tenu caché toute la nuit ; mais la céleste providence ne permet pas qu’il échappe un coupable. De grand matin je me suis posté pour prévenir toute évasion clandestine, et j’ai réussi à le faire comparaître à votre auguste tribunal. L’homme que vous avez devant vous est un triple homicide ; il a été pris en flagrant délit ; il n’est pas de cette contrée. Épargnerez-vous, dans un étranger, un attentat dont la réparation demanderait le sang même d’un concitoyen ? Après cette formidable allocution, mon redoutable accusateur se tut. L’huissier me dit alors que, si j’avais quelque chose à dire pour ma défense, je pouvais parler : mais pendant quelques moments je ne pus trouver que des larmes ; moins atterré, hélas ! par la terrible accusation que par le cri de ma conscience. Enfin une inspiration d’en haut me rendit courage, et je répliquai.

En présence des cadavres de trois citoyens, je sens combien est difficile la position de l’homme qui est accusé de leur trépas. Quoiqu’il dise la