Page:Pétrone, Apulée, Aulu-Gelle - Œuvres complètes, Nisard.djvu/318

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de ma maîtresse ? Allons, je me fie à vous, à vos principes. Avec les sentiments d’honneur que vous ont transmis vos nobles ancêtres, avec un esprit aussi élevé que le vôtre, initié comme vous l’êtes à de sacrés mystères, vous êtes fidèle assurément à la religion du secret. Que mes confidences restent donc à jamais comme murées dans le sanctuaire de votre conscience ; et payez par une discrétion à toute épreuve la candeur de mes épanchements. C’est l’amour qui me force à révéler ce que nul autre que moi ne sait au monde. Oui, vous allez connaître tout ce qui se passe en ces lieux. Je vous dirai par quels enchantements ma maîtresse sait faire obéir les mânes, troubler le cours des astres, assujettir les dieux, soumettre les éléments.

C’est surtout lorsqu’elle a jeté un regard de complaisance sur quelque beau jeune homme (ce qui lui arrive souvent), qu’on la voit déployer la terrible puissance de son art. En ce moment même, éperdument éprise d’un jeune Béotien beau comme le jour, il n’est sorte d’artifices et de machinations qu’elle ne mette en jeu. Hier, après midi, je l’ai entendue, entendue de mes propres oreilles, menacer le soleil de l’obscurcir, et d’ensevelir sa lumière dans d’éternelles ténèbres, s’il ne précipitait sa course pour laisser le champ libre à ses conjurations. En sortant du bain, elle avait aperçu son jeune amant assis dans la boutique d’un barbier ; et vite, elle m’ordonna de m’emparer furtivement des cheveux que les ciseaux avaient fait tomber de sa tète. Le barbier me surprit au milieu de l’opération ; et, comme ce trafic de maléfices nous a fait une réputation détestable, il me saisit, et m’apostrophant avec brutalité : Tu ne cesseras donc pas, dit-il, de voler ainsi les cheveux de tous les beaux jeunes gens ? Que je t’y reprenne, et, sans marchander, je te livre aux magistrats. Le geste suit les paroles ; il fourre sa main dans ma gorge, et m’arrache avec rage les cheveux que j’y avais cachés. Très déconcertée de ma mésaventure, et songeant à l’humeur de ma maîtresse, qu’une contrariété de ce genre peut mettre hors d’elle-même, et qui alors me bat à outrance, je fus au moment de prendre la fuite ; mais j’ai pensé à vous, et je n’ai pu m’y décider.

Je m’en revenais cependant, bien en peine de me présenter les mains vides, quand j’aperçois un homme occupé à tondre avec des ciseaux des outres de peau de bouc. Après qu’il les eut gonflées, je le vis les lier fortement et les suspendre. Je ramassai par terre plusieurs touffes de leur toison ; elle était blonde, et ressemblait assez sous ce rapport à la chevelure du jeune Béotien. Je rapportai cette dépouille à ma maîtresse, sans lui dire d’où je la tenais. Aussi, dès que la nuit fut venue, et avant votre retour du souper, Pamphile, que le désir talonne, monte aux combles, en un réduit ouvert à tous les vents, ayant vue sur l’orient et les autres points de l’horizon. C’est le lieu qu’elle a choisi comme le plus propice à ses enchantements. Enfermée dans ce magique laboratoire, la voilà qui procède à ses manipulations accoutumées, dont les éléments sont des aromates de toute espèce, des lames d’airain couvertes de caractères indéchiffrables, des ferrements des navires naufragés, nombre de