Page:Pétrone, Apulée, Aulu-Gelle - Œuvres complètes, Nisard.djvu/319

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débris humains enlevés à des cadavres avant ou après la sépulture. Ici sont des fragments de nez, de doigts ; là des clous arrachés avec la chair aux croix patibulaires ; plus loin du sang d’homme tué, et des morceaux de crânes humains disputés à la dent des bêtes féroces.

Devant elle sont des entrailles encore palpitantes. Après quelques mots magiques, elle les arrose successivement d’eau de fontaine, de lait de vache et de miel de montagne ; elle y joint des libations d’hydromel. Ensuite elle entrelace les prétendus cheveux, les noue, et les brûle sur des charbons ardents, avec force parfums. Soudain le charme irrésistible opère, et, par la mystérieuse puissance des pouvoirs évoqués, les outres, dont la toison fumait et grillait sur la braise, s’animent comme des créatures humaines, sentent, entendent, marchent, et, attirées par l’odeur qui s’exaltait de leurs dépouilles, les voilà qui arrivent au défaut du Béotien, et se lancent contre notre porte. C’est alors qu’étourdi par de copieuses libations, et trompé par l’obscurité, vous mîtes bravement l’épée au vent ; et, nouvel Ajax, dans un transport de folie pareil, mais bien plus héroïque, (car il s’est rué comme un boucher sur des animaux vivants) vous fîtes, vous, rendre l’âme à trois outres gonflées. Si bien qu’après cet innocent exploit, où pas une goutte de sang n’a coulé, c’est un vainqueur, non pas homicide, mais outricide, que je reçois dans mes bras.

À ce trait de Fotis, ma gaieté s’anime, et je riposte : Oui, mon premier trophée peut être comparé aux douze travaux d’Hercule. Cette victoire sur trois outres ira de pair avec son triomphe sur le triple Géryon ou sur Cerbère aux trois têtes. Mais veux-tu que je te pardonne ton étourderie et tous les embarras qu’elle m’a causés ? Il est une chose que je désire avec passion ; fais-la. Montre-moi ta maîtresse opérant selon la science dans le feu de l’évocation ; que je la voie au moins dans une de ses métamorphoses. Je meurs d’envie d’apprendre les secrets de l’art magique. Mais toi, si je ne me trompe, non, tu n’y es pas novice ; je le sais, et de plus je le sens. Moi, si indifférent aux caresses de nos belles dames, ces yeux brillants, ces fraîches joues, l’or de cette chevelure, ces baisers à lèvres ouvertes, cette gorge enivrante, je suis l’esclave de tout cela, et l’esclave volontaire. Adieu le foyer, adieu le retour. Une nuit comme celle-ci est ce que je mets au-dessus de tout.

Que je serais heureuse de te contenter, mon cher Lucius, répondit-elle ; mais ces pratiques sont vues de si mauvais œil, que ma maîtresse ne s’y livre jamais qu’en s’environnant de solitude, en éloignant tous les regards. Cependant, à mes risques et périls, je ferai ce que tu désires, j’épierai le moment favorable ; ta curiosité sera satisfaite. Tandis que nous jasons, le désir se réveille, et les sens se mettent de la partie. Vite à bas tout voile jaloux ! nus tous deux comme la main, nous nous étreignons avec fureur. L’amoureuse lutte dura longtemps ; je me rendais de guerre lasse quand Fotis me ranima par une piquante diversion, offerte avec une complaisance plus que féminine. Mais enfin le sommeil nous gagna, et nos paupières languissantes se fermèrent jusqu’au matin.