Page:Pétrone, Apulée, Aulu-Gelle - Œuvres complètes, Nisard.djvu/323

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qu’il y a de plus lourd dans le bagage, et, le bâton levé, nous poussent hors du logis, après y avoir fait maison nette. Un des leurs cependant resta seul en arrière, avec charge d’observer, et de faire son rapport de ce qui se passerait sur les lieux. Les autres, à force de coups, nous font gagner grand train une passe écartée de la montagne. L’énormité de ma charge, la roideur de la côte, la longueur du chemin, m’avaient tué plus qu’à demi. L’idée me vint alors, un peu tard, mais tout de bon, de recourir à la protection publique, de faire intervenir pour ma délivrance le nom sacré de l’empereur.

Il faisait grand jour quand nous arrivâmes dans un bourg d’une certaine importance, où se tenait précisément un marché, et où par conséquent l’affluence était considérable. Je voulus donc, me trouvant au milieu de cette population grecque, attester l’auguste nom de César dans ma langue maternelle. O ! m’écriai-je de l’accent le plus expressif et le mieux articulé. Mais il me fut impossible de prononcer le mot César. Les voleurs, impatientés de cette tenue discordante, font à l’envi pleuvoir une grêle de coups sur mon pauvre cuir, et le mettent hors d’état de servir même de crible.

Un moment, toutefois, Jupiter m’offrit une chance de salut que je n’attendais guère. En traversant plusieurs hameaux où se trouvaient quelques habitations considérables, j’aperçois un joli petit jardin, et là, parmi d’autres fleurs, des roses en bouton, humides encore de la rosée du matin : je m’en approche palpitant d’espoir ; et déjà mes lèvres étendues étaient près d’y atteindre, quand une sage réflexion m’arrêta. Si je quitte soudain ma figure d’âne pour redevenir Lucius, dis-je à part moi, je m’expose à une mort certaine ; ces voleurs vont me prendre pour magicien, ou de ma part craindre des révélations. Je fis donc de nécessité vertu ; je passai devant les roses sans y toucher, et, prenant mon mal en patience, je cheminai, rongeant mon frein de baudet.



LIVRE QUATRIÈME.


Il était près de midi, et le soleil devenait très ardent. Nous fîmes halte dans un hameau, chez de vieilles gens de la connaissance des voleurs, et apparemment de leurs amis. C’est ce que j’augurai d’abord, tout âne que j’étais, de leurs longs pourparlers et de leurs embrassades. En effet, on prit sur mon dos divers objets qu’on leur offrit ; et, autant que je pus comprendre, on leur disait tout bas que c’était pour leur part. On nous décharge ensuite tout à fait, pour nous laisser paître en liberté dans un pré voisin. Mais je faussai compagnie à l’autre âne et à mon cheval durant leur repas : un dîner de foin n’était pas encore de mon goût. Cependant, comme je mourais de faim, j’entrai sans façon dans un petit jardin que j’aperçus derrière l’écurie : j’y trouvai pour tout ordinaire des légumes crus, dont je ne laissai pas de m’emplir le ventre. Ce repas fait, je me mets à chercher des yeux de tous côtés, tout en invoquant les dieux, si dans les jardins contigus il ne se montrerait pas quelque part un beau rosier fleuri car, le remède trouvé, j’espérais, grâce à la solitude et avec le secours de quelque buisson, pouvoir quitter incognito mon humble figure