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Page:Pétrone, Apulée, Aulu-Gelle - Œuvres complètes, Nisard.djvu/322

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formant à ma situation présente, j’allai prendre place à l’écurie à côté de mon propre cheval. J’y trouvai aussi un autre âne appartenant à mon ci-devant hôte Milon ; je me disais : S’il est une religion de l’instinct chez les êtres privés de la parole, ce cheval doit me reconnaître, et se sentir ému de sympathie ; il va m’offrir une place, me faire les honneurs du râtelier et de la provende. Mais ô Jupiter Hospitalier ! ô divinités saintes, protectrices de la bonne foi ! ce noble coursier, qui m’avait porté, se donne le mot avec l’autre âne ; tous deux s’entendent contre moi, me redoutent comme un rogneur de leur portion. Ils baissent l’oreille en signe de fureur, et me lancent vingt ruades à mon approche. Je me vois repoussé loin de l’orge que de mes propres mains, j’avais étalée la veille devant ce monstre d’ingratitude domestique. Ainsi maltraité, force me fut de faire bande à part, et je me retirai dans un coin de l’écurie.

Tandis que j’y réfléchissais sur l’insolence de mes deux camarades, me promettant de tirer le lendemain bonne vengeance de mon coquin de cheval, sitôt que, par la vertu des roses, je serais redevenu Lucius, j’aperçois, à moitié de la hauteur du pilier qui supportait la voûte de l’écurie, une niche qu’on y avait pratiquée, et où se trouvait l’image de la déesse Épone, parce avec des guirlandes de roses encore fraîches. En voyant le remède à mes maux, je me livre à l’espérance. Je me dresse, levant le plus haut possible mes pieds de devant, et, cou tendu, lèvres allongées, je fais tous mes efforts pour atteindre jusqu’aux guirlandes. O fatalité ! tandis que je m’évertue ainsi, le valet chargé par moi-même de panser chaque jour mon cheval s’aperçoit de ma manœuvre, et, se levant tout en colère : C’est à n’en pas finir avec ce porte-choux, dit-il ; tout à l’heure il en voulait au manger de nos bêtes, maintenant le voilà qui s’en prend aux images des dieux ! Attends, sacrilège animal, je te vais éreinter de la bonne manière ; au moins tu ne sortiras que boiteux de mes mains. Tout en parlant, il cherchait de quoi accomplir sa menace ; et, trouvant un fagot laissé là par hasard, il y choisit le plus gros parement, tout garni encore de ses feuilles, et se met à en labourer ma pauvre échine. Le jeu n’eût pas cessé de sitôt ; mais il se lit soudain grand bruit dans le voisinage. Mille coups viennent tonner contre la porte de ta maison ; on crie Aux voleurs ! de toutes parts ; mon bourreau s’effraye et s’enfuit.

Bientôt l’on force l’entrée ; un gros de bandits envahit tout l’intérieur, tandis qu’un autre parti armé jusqu’aux dents garde toutes les issues. De divers côtés, les voisins arrivent au secours ; mais les brigands leur font face et les repoussent. Les torches se reflétant sur les glaives nus illuminent les ténèbres, et le double éclat du fer et de la flamme produit l’effet du soleil levant. Au centre de la maison se trouvait une espèce de magasin, bien défendu par toute espèce de fermeture et renfermant les trésors de Milon. Ils en enfoncent la porte à grands coups de hache, s’emparent de tout le butin, l’empaquettent à la hâte, et s’en distribuent la charge entre eux. Mais il se trouve plus de fardeaux que de porteurs : dans l’embarras de tant de richesses et réduits aux expédients, ils me tirent de l’écurie avec l’autre âne et mon cheval, nous chargent impitoyablement de ce