Page:Pétrone, Apulée, Aulu-Gelle - Œuvres complètes, Nisard.djvu/326

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en protéger l’entrée, une tour formidable ; l’espace intermédiaire, fermé des deux côtés par une forte palissade de claies, offrira dans son enceinte un parc commode au bétail : le tout accessible seulement par une espèce de ruelle resserrée entre deux môles, droits comme des murs de maçonnerie. Voilà, direz-vous, sur ma parole, un repaire de voleurs des mieux conditionnés. Du reste, aucune habitation dans tout le voisinage, si ce n’est une grossière cabane de roseaux, où, comme je l’ai su depuis, la sentinelle désignée par le sort se postait en observation chaque nuit.

Les voleurs enfilent l’étroite avenue un à un, et les bras serrés contre le corps. Arrivés devant la porte, ils nous attachent avec de fortes courroies ; puis les voilà qui apostrophent une vieille décrépite, et, à ce qui semblait, l’unique ménagère de cette bande de vauriens. Allons ! hé ! carcasse de rebut, dont l’enfer ne veut pas, dont la terre ne veut plus, te moques-tu de nous de rester là les bras croisés ? Est-ce que nous n’avons pas bien gagné notre souper par tant de périls et de fatigues ? Voyons, ne vas-tu rien nous donner, toi qui ne fais jour et nuit qu’engloutir notre bon vin dans ton gouffre de ventre ? La vieille tout effrayée se hâte de répondre, d’une voix cassée et tremblante : Eh ! mes bons seigneurs, mes doux maîtres, tout est prêt. Excellents ragoûts cuits à point, pain à discrétion, vin à bouche que veux-tu, verres bien rincés ; et l’eau chaude est là pour votre bain, comme à l’ordinaire. Là-dessus, mes gens, mettant habits bas, exposent leurs corps tout nus à la vapeur : ainsi délassés, et après s’être bien frottés d’huile, ils se disposent à faire honneur au copieux banquet.

À peine étaient-ils à table, qu’il vint du renfort ; c’étaient d’autres gaillards composant une troupe bien plus nombreuse, et qu’il n’était pas difficile de reconnaître pour ce qu’ils étaient ; car ils arrivaient chargés de butin de toute espèce, monnaie d’or et d’argent, vaisselle plate, étoffes de soie brochées d’or, etc. La cérémonie du bain se répète, et les nouveaux venus prennent place à côté de leurs camarades. Le service est fait par ceux que le sort désigne. Ils se mettent tous à manger et à boire hors de toute règle, de toute mesure ; on s’empiffre de mets, on engloutit le pain, on engouffre le vin. On ne cause pas, on vocifère ; on ne chante pas, on crie ; on se jette, en guise de bons mots, de grosses injures à la tête. C’est toute la scène des Centaures et des Lapithes.

Au milieu du tumulte, l’un d’eux, qui surpassait en force tous les autres, s’écrie soudain : Nous sommes gaillardement entrés de vive force chez Milon d’Hypate ; nous y avons bravement fait un butin considérable. Eh bien ! nous voici de retour, tous sur nos pieds ; et même, si cela vaut la peine de le dire, avec huit pieds de plus. Vous autres, qui avez été travailler dans les villes de Béotie, vous nous ramenez une troupe moindre, et, qui pis est, affaiblie de son intrépide chef Lamachus. Je donnerais bien tout le butin que vous avez fait, pour qu’il fût encore là parmi nous. C’est son courage qui a fait sa perte ; mais il sera célèbre entre les plus grands rois et les plus illustres capitaines. Vous, vous êtes de ces discrets voleurs bons pour les filouteries domestiques, qui se glissent timidement dans les bains