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Page:Pétrone, Apulée, Aulu-Gelle - Œuvres complètes, Nisard.djvu/355

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le sourcil, dit avec un sourire amer : Toujours la même protection frauduleuse ! Mais je vais faire un essai décisif de ce courage si ferme et de cette conduite si prudente. Vois-tu ce rocher qui se dresse au sommet de cette montagne escarpée ? Là jaillit une source dont les eaux noirâtres, recueillies d’abord dans le creux d’un vallon voisin, se répandent ensuite dans les marais du Styx, et vont grossir les rauques ondes du Cocyte. Tu iras au jet même de la source puiser de son onde glaciale, et tu me la rapporteras dans cette petite bouteille. Elle dit, et lui remet un flacon de cristal poli, en accompagnant l’injonction des plus terribles menaces.

Psyché hâte le pas pour gagner le sommet du mont, croyant bien cette fois y trouver le terme de sa misérable existence. Arrivée au haut, elle voit toute l’étendue et la mortelle difficulté de sa tâche, et quels périls il lui faut surmonter. En effet, le rocher s’élevait à une hauteur effroyable, et c’était à travers ses flancs abrupts, d’un escarpement inaccessible, que l’onde formidable trouvait passage. Elle s’échappait par une foule de crevasses, d’où elle glissait perpendiculairement, et s’encaissait ensuite dans une rigole étroite et profonde, qui la conduisait inaperçue jusqu’au fond du vallon. Du creux des rocs qui enfermaient ses deux rives, on voyait s’allonger de droite et de gauche d’affreuses têtes de dragons aux paupières immobiles, aux yeux constamment ouverts ; gardiens terribles et qui ne s’endorment ni ne se laissent gagner. De plus, ces eaux étaient parlantes et savaient se défendre elles-mêmes : Arrière ! Que fais-tu ? où vas-tu ? Prends garde ! fuis ! Tu mourras ! Tels étaient les avertissements qu’elles ne cessaient de faire entendre.

Psyché resta pétrifiée en voyant l’impossibilité de sa tâche. Présente de corps, elle est absente par ses sens. Accablée par la conscience de son danger, elle n’a pas même la triste ressource des larmes ; mais une providence tutélaire veillait sur cette âme innocente. Le royal oiseau de Jupiter, l’aigle aux serres ravissantes, parut tout à coup, déployant ses grandes ailes. Il n’a pas oublié combien il fit autrefois sa cour au souverain des dieux par le rapt de ce jeune Phrygien qui lui sert à boire, et que ce fut Cupidon lui-même qui l’inspira. Des hauteurs de l’Olympe, il vient offrir bien à propos son assistance, jaloux de se rendre agréable au mari en secourant sa jeune épouse. Le voilà donc qui voltige autour de Psyché, et lui dit : Eh quoi ! pauvre innocente, croyez-vous que vos mains novices puissent dérober une seule goutte de l’eau de cette fontaine ? Vous flattez-vous d’approcher seulement de ses bords sacrés et terribles ? Ne savez-vous pas que les dieux, que Jupiter lui-même, ne les nomment qu’en tremblant ? qu’ils jurent par la majesté du Styx, comme vous autres mortels vous jurez par la puissance des dieux ? Mais confiez-moi ce flacon. Il dit, s’en empare, et ne tarde pas à le rapporter plein, passant et repassant, majestueusement soutenu par le balancement de ses puissantes ailes, entre ces deux rangs de gueules béantes, qui ne peuvent que montrer leurs dents terribles et darder sans effet leur triple langue. L’onde s’irrite, et lui crie : Loin d’ici, sacrilège ! Mais il disait : C’est par l’ordre de Vénus ; et ce mensonge adroit lui servit aussi de passeport.

Psyché reçoit avec joie le flacon si heureuse-