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Page:Pétrone, Apulée, Aulu-Gelle - Œuvres complètes, Nisard.djvu/354

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stupéfaite d’une exigence aussi extravagante. Alors la fourmi, chétive habitante des champs, qui pouvait si bien apprécier la difficulté d’une semblable tâche, prend en pitié l’épouse d’un dieu, qu’elle y voit impitoyablement condamnée. Tout indignée de cet acte de marâtre, elle court convoquer le ban des fourmis de son quartier. Soyez compatissantes, filles alertes de la terre ; vite au travail ! une femme aimable, l’épouse de l’Amour, a besoin de vos bons offices. Aussitôt la gent aux mille pieds de se ruer, de se trémousser par myriades. En un clin d’œil tout cet amas confus est divisé, classé par espèces, distribué en autant de tas distincts ; et zeste, tous les travailleurs ont disparu. Vers le soir, Vénus revient de la fête, échauffée par les rasades, arrosée de parfums et couverte de guirlandes de roses. Elle voit avec quel soin merveilleux la tâche a été remplie : Ce n’est pas toi, coquine, cria-t-elle, qui as fait cette besogne. J’y reconnais la main de celui à qui tu as trop plu, pour ton malheur et pour le sien. Là-dessus, elle jette à Psyché un morceau de pain, et va se mettre au lit.

Cependant Cupidon, confiné au fond du palais, y subissait une réclusion sévère. On craint qu’il n’aggrave sa blessure par son agitation turbulente : surtout, on veut le séquestrer de celle qu’il aime. Ainsi séparés, bien que sous le même toit, les deux amants passèrent une nuit cruelle. Le char de l’Aurore se montrait à peine, que Vénus fit venir Psyché, et lui dit : Vois-tu ce bois bordé dans toute sa longueur par une rivière dont les eaux sont déjà profondes, bien qu’encore voisines de leur source ? Un brillant troupeau de brebis à la toison dorée y paît, sans gardien, à l’aventure : il me faut à l’instant un flocon de leur laine précieuse. Va, et fais en sorte de me le rapporter sans délai.

Psyché court, vole ; non pour accomplir l’ordre de la déesse, mais pour mettre un terme à ses maux dans les eaux du fleuve. Or, voici que, de son lit même, un vert roseau, doux organe d’harmonie, inspiré tout à coup par le vent qui l’agite et qui murmure, se met à prophétiser en ces termes : Pauvre Psyché, déjà si rudement éprouvée, garde-toi de souiller par ta mort la sainteté de mes ondes, et n’approche pas du formidable troupeau qui paît sur ce rivage. Tant que le soleil de midi darde ses rayons, ces brebis sont possédées d’une espèce de rage. Tout mortel alors doit redouter les blessures de leurs cornes acérées, le choc de leur front de pierre, et la morsure de leurs dents venimeuses ; mais une fois que le méridien aura tempéré l’ardeur de l’astre du jour, que les brises de la rivière auront rafraîchi le sang de ces furieux animaux, tu pourras sans crainte gagner ce haut platane nourri des mêmes eaux que moi, et trouver sous son feuillage un sûr abri. Alors tu n’auras, pour te procurer de la laine d’or, qu’à secouer les branches des arbres voisins, où elle s’attache par flocons. Ainsi le bon roseau faisait entendre à Psyché de salutaires conseils. Elle y prêta une oreille attentive, et n’eut pas lieu de s’en repentir ; car, en suivant ses instructions, elle eut bientôt fait sa collecte furtive, et retourna vers Vénus, le sein rempli de cet or amolli en toison.

Psyché ne se vit pas mieux accueillie après le succès de cette seconde épreuve. Vénus, fronçant le