Page:Pétrone, Apulée, Aulu-Gelle - Œuvres complètes, Nisard.djvu/363

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faire mon rapport, ainsi que vous me l’aviez prescrit. Des indices nombreux, et qui avaient tous les caractères de l’évidence, avaient fait réunir les soupçons sur un certain Lucius ; et c’était lui qu’on désignait universellement comme ayant dirigé le coup. Cet individu, qui, peu de jours avant, s’était donné à Milon pour homme de bien, à l’aide de fausses lettres de recommandation, avait, disait-on, réussi à s’introduire fort avant dans ses bonnes grâces. On l’avait traité en hôte, admis dans l’intimité de la famille et retenu plusieurs jours ; ce dont le gaillard avait profité pour jouer l’amoureux près de la servante et la séduire, examiner de près les serrures, et s’assurer de la position des cachettes à argent du maître du logis. On citait une particularité significative. La nuit même du vol, ce Lucius avait décampé, et on ne l’avait pas revu. De plus, et sans doute pour assurer sa retraite et se mettre plus tôt hors de la portée des poursuites, il avait emmené un cheval blanc, sa monture ordinaire. On s’était bien saisi de son domestique, qu’il avait laissé au logis ; et, dans l’espoir de quelque révélation, les magistrats l’avaient fait jeter dans les prisons de la ville ; mais le lendemain on avait appliqué à la question et torturé cet homme presque jusqu’à la mort, sans tirer de lui aucun aveu. Plusieurs émissaires avaient été dépêchés au pays de Lucius pour rechercher le coupable et le livrer à la justice.

Pendant ce récit, je gémissais au fond de mon âme, en comparant ma condition antérieure à mon abjection présente, le brillant Lucius d’autrefois au pauvre baudet d’aujourd’hui. Je m’avisai alors, pour la première fois, de tout ce qu’il y a de justesse dans cette allégorie des vieux moralistes, la Fortune privée d’yeux. Ne la voit-on pas toujours, en effet, prodiguer ses biens aux méchants et aux indignes ? La raison est-elle jamais consultée dans ses choix ? Et qui visite-t-elle de préférence ? Ceux-là précisément dont, clairvoyante, elle se tiendrait le plus loin. Par elle, enfin, quelle diversité ou plutôt quelle aberration dans les jugements des hommes ! Elle environne le pervers d’une auréole de probité, et met l’innocence même à la merci des bouches les plus coupables. Moi, dont, par un jeu cruel, elle avait fait une bête, un quadrupède, qu’elle avait traité de façon à me rendre un objet de pitié pour les cœurs les plus endurcis, je me voyais pour comble accusé de vol, au préjudice d’un hôte que je chérissais. Que dis-je ? de pis encore, de parricide. Et je ne pouvais me détendre, ni même ouvrir la bouche pour dire : Non.

Il ne me fut pas possible cependant d’acquiescer tout à fait par mon silence à cette accusation horrible, et, dans l’excès de mon irritation, je tâchai de crier : Non, je n’en ai rien fait. Je réussis bien à braire le premier mot à plusieurs reprises ; mais il n’y eut pas moyen, quoi que je fisse, d’articuler le second. J’en restai donc à cette première syllabe bien et dûment vociférée : Non, non. Le tout avec une ouverture désespérée de mâchoire, et un écartement non moins démesuré de mes lèvres pendantes. Mais que sert de gémir en particulier sur chacune de mes disgrâces, quand la Fortune avait bien pu me ravaler à la condition et m’associer au travail de l’animal qui me servait de monture ?

Cependant, au milieu de l’agitation de mon