Page:Pétrone, Apulée, Aulu-Gelle - Œuvres complètes, Nisard.djvu/364

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esprit, une pensée prenait toujours le dessus. Le décret des voleurs qui m’immolait aux mânes de la jeune fille me revenait en mémoire, et je regardais piteusement au-dessous de moi, comme si mon pauvre ventre subissait déjà cette fatale grossesse. Cependant le bandit qui venait de débiter tant de calomnies sur mon compte tira mille écus d’or, cachés dans la doublure de ses habits. C’était le produit de contributions levées sur différents voyageurs, et que sa probité, disait-il, lui faisait un devoir de verser à l’épargne commune. Il s’enquit ensuite avec intérêt de la santé de ses camarades. Apprenant qu’un certain nombre d’entre eux, et les plus braves, avaient diversement succombé, tous en gens de cœur, il ouvrit l’avis de laisser momentanément la paix aux grands chemins, et, toute expédition ajournée, de ne s’occuper qu’à remplir les vides par voie d’enrôlement ou de contrainte, afin de remettre la belliqueuse compagnie sur son ancien pied. Il faut, disait-il, agir sur les récalcitrants par la terreur, sur les hommes de bonne volonté par l’appât des récompenses. Pour combien de gens, esclaves ou pauvres hères, notre condition n’est-elle pas préférable au régime que leur impose le despotisme ou le besoin ? Pour ma part, j’ai déjà fait une recrue. C’est un grand jeune homme taillé en force, et qui sait jouer des mains. Je lui ai remontré, et j’ai fini par l’en convaincre, qu’il se rouillait dans l’oisiveté ; que, jouissant d’une si belle santé, il devait s’empresser d’en tirer parti par quelque honnête occupation ; qu’avec un bras aussi vigoureux on ne tend pas la main pour recevoir l’aumône, mais qu’on s’en sert activement pour amasser des trésors.

Une approbation unanime accueillit ces paroles. On décide l’admission au préalable d’un candidat qui paraît si méritant, et subsidiairement l’adjonction de nouvelles recrues pour compléter la troupe. Mon homme sort un moment et revient, introduisant un jeune gaillard aux proportions vraiment colossales, et avec lequel je crois qu’aucun homme de notre temps ne pourrait entrer en comparaison ; car, sans parler du développement extraordinaire de ses muscles, il passait les assistants de toute la tête : et cependant un poil follet commençait à peine à se dessiner sur sa face. Il n’était qu’à demi vêtu de haillons chamarrés de pièces et de morceaux ; et le tout assez mal cousu semblait tenir à l’étroit l’osseuse charpente de sa vaste poitrine et les massifs contours de ses flancs.

Le candidat étant introduit dans cet équipage : Salut, dit-il, ô vous compagnons du vaillant dieu de la guerre, et, à dater de ce jour, mes fidèles camarades ! Recevez dans vos rangs un homme de courage et d’action, plus empressé à prendre sa part des coups que des dépouilles ; un homme à qui la présence de la mort, si redoutée des autres, ne fait que redonner du cœur. N’allez pas me prendre pour un mendiant, pour un homme de rien, ni juger ce que je vaux par les guenilles que je porte. Tel que vous me voyez, j’ai commandé une troupe des plus intrépides, et mis la Macédoine entière à feu et à sang. En un mot, je suis le fameux Hémus de Thrace, dont le nom seul fait frémir les provinces. Mon père est l’illustre Théron qui m’a nourri de sang humain, et élevé dans les rangs de sa troupe. Il m’a légué sa vaillance, et l’héritage n’a pas dépéri entre mes