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Page:Pétrone, Apulée, Aulu-Gelle - Œuvres complètes, Nisard.djvu/370

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d’user jusqu’au vif la corne de mes pieds sur les souches et les cailloux dont ma route était hérissée ; il me fallait encore essuyer une grêle incessante de coups de bâton dont le drôle me labourait l’échine, et dont je ressentais la douleur jusqu’à la moelle des os. Il avait la méchanceté d’adresser les siens constamment à la cuisse droite ; si bien que, frappant toujours à la même place, il avait fini par entamer le cuir. Puis le mal était devenu d’écorchure plaie, de plaie trou, et de trou fenêtre. Et cependant le bourreau ne cessait de frapper sur la déchirure toute saignante. Ajoutez qu’il exagérait ma charge à faire croire que cette masse de fagots était destinée non pas à un âne, mais à un éléphant. Un excès de poids d’un côté faisait-il pencher la charge ? au lieu de la diminuer de ce qui menaçait ruine et de me soulager d’autant, ou de faire passer du moins quelque morceau de l’autre côté, il ajoutait des pierres pour rétablir l’équilibre. Ce n’est pas tout : après m’avoir si impitoyablement écrasé sous le faix, s’il arrivait que nous eussions un cours d’eau à traverser, l’enfant soigneux n’avait garde de mouiller ses guêtres ; il se campait sur mes reins de plein saut. Faible addition, me direz-vous, eu égard à l’énormité de la charge. Oui ; mais si, rencontrant à l’autre bord une rampe tant soit peu roide, ou rendue glissante par le limon, je venais à m’abattre en essayant vainement de la franchir avec mon fardeau, croyez-vous que mon excellent guide prît la peine de me relever la tête avec la bride, de me soulever par la queue, ou enfin de soulager mon dos, pour m’aider à me remettre sur pieds ? Non ; je n’avais aucun secours à attendre ; mais armé d’un énorme bâton, il me rondinait de tête en queue, en commençant par les oreilles, tant et si bien qu’aucun cordial ne m’eût plus vite ranimé.

Voici encore un de ses tours. Il se procura un jour des épines très piquantes à pointes vénéneuses, qu’il tortilla en faisceau en forme de boule ; et il m’attacha à la queue cet appendice aiguillonnant, que chaque pas mettait en mouvement pour mon supplice. Le mécanisme était à double fin ; car dès que je prenais ma course pour échapper à mon persécuteur, cette allure accélérée redoublait l’énergie des piqûres, et dès que je m’arrêtais pour faire trêve à mon tourment, le bâton me forçait à reprendre ma course. En somme, ce petit scélérat n’avait d’autre idée que de me faire périr de façon ou d’autre. Il me le jura plus d’une fois, et, dans une circonstance, sa détestable malice alla encore plus loin.

Un jour où la persécution avait triomphé de ma patience, je lui détachai une ruade des plus vigoureuses Or, voici de quelle vengeance il alla s’aviser : il me met sur le dos un fort paquet d’étoupes, solidement assujetti avec des ficelles, et me chasse devant lui ; puis il entre dans la première ferme, y dérobe un charbon, qu’il fourre tout allumé au milieu de ma charge. Le feu couve quelque temps dans ce foyer combustible, et bientôt la flamme éclate, et m’enveloppe tout entier du plus formidable incendie. Où fuir ? quelle chance de salut ? Avec un tel ennemi à ses trousses, a-t-on le temps de la réflexion ? Dans cette extrémité