Page:Pétrone, Apulée, Aulu-Gelle - Œuvres complètes, Nisard.djvu/372

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Aussitôt mon pernicieux accusateur, ravi d’être l’exécuteur de la sentence, fait ses dispositions d’un air de triomphe insultant. Il n’a pas oublié cette ruade, hélas ! de trop peu d’effet, et il se presse déjà de donner le fil à son couteau, en l’aiguisant sur la pierre : mais un membre de la rustique assemblée prend alors la parole : Il y aurait conscience, dit-il, de mettre à mort un si bel âne et de nous priver de ses services, pour quelques escapades amoureuses. Pourquoi ne pas le châtrer de préférence ? Le tempérament cesserait alors de lui parler si haut, et dès lors plus de ces fâcheuses conséquences ; ajoutez qu’il y gagnera d’encolure. En chaleur, l’âne est plus mou, et le cheval plus fringant. J’en ai vu plus d’un devenir tout à fait rétif et intraitable. Eh bien ! en un tour de main on vous le rendait habile aux transports à dos, et docile à toute espèce de service. À moins de résolution contraire de votre part, je me charge de l’opération. Laissez-moi seulement le temps de faire un tour à la foire voisine ; je reviens chez moi reprendre mes instruments, je vous taille ensuite cet incommode amoureux quelque part entre les cuisses, et vous le rends doux comme un agneau.

Cette proposition m’arrachait au royaume de l’Orcus, mais pour me faire subir le plus dur des traitements ; et je me lamentais de périr dans la plus noble partie de moi-même. Déjà je cherchais quelque moyen de destruction, la faim ou quelque précipice. C’était encore mourir ; mais du moins c’était mourir entier. Pendant que je délibérais sur le choix d’un trépas, mon bourreau d’enfant vint me prendre pour notre voyage quotidien à la montagne. Là, m’ayant attaché à la branche pendante d’un gros chêne, il se met, quelques pas en avant, à tailler avec sa hache le bois qu’il devait rapporter, quand d’une caverne voisine s’allonge soudain une formidable tête d’ours. Je n’eus pas plutôt vu l’animal s’avancer d’un pas lent, qu’épouvanté de cette apparition, je me rejette de tout mon poids sur mes jarrets de derrière, et romps, en me cabrant, la courroie qui me retenait. Alors je me mets à détaler ventre à terre, galopant, culbutant à travers les pentes les plus rapides. Je fus bien vite en bas de la montée, également empressé d’échapper aux griffes de l’ours et à celles de l’enfant, qui ne valait pas mieux.

Un passant qui me vit sans maître s’empara de moi, et, m’ayant enfourché lestement, me fit prendre à coups de bâton un chemin de traverse qui m’était inconnu. Je n’avais garde toutefois de mettre obstacle à sa marche, car elle m’éloignait du lieu fatal où devait se consommer le sacrifice de ma masculinité. Du reste, je n’étais pas grandement sensible aux coups de mon nouveau propriétaire, tant j’avais su faire connaissance avec le bâton ; mais l’acharnement de la Fortune fit tourner tout à coup cette chance d’évasion si favorable : elle me gardait encore un de ses tours.

Les pâtres du logis avaient perdu une génisse, et couraient la campagne en tous sens pour la retrouver. Le hasard fit que nous nous rencontrâmes face à face. Ils m’eurent bientôt reconnu et, saisissant mon licou, ils s’efforcent de m’emmener. Mon cavalier, hardi et vigoureux compagnon,