Page:Pétrone, Apulée, Aulu-Gelle - Œuvres complètes, Nisard.djvu/381

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férocité ; que nous aurions même encore à nous défier à chaque pas de quelque embuscade, à prendre garde de nous disséminer, à marcher constamment en colonne serrée, jusqu’à ce qu’enfin nous eussions franchi les endroits dangereux.

Mais ces coquins de fugitifs qui composaient la caravane, soit précipitation aveugle, soit crainte d’être poursuivis, ce qui n’était guère probable, ne tinrent aucun compte de ces salutaires conseils. Et, sans attendre le jour déjà proche, les voilà, vers la troisième veille, qui nous rechargent et nous poussent devant eux. Moi, qui n’avais rien perdu de l’avertissement formidable, je gardais autant que possible le centre du convoi, me cachant de mon mieux dans le gros de mes compagnons de charge, pour couvrir mes parties postérieures de l’agression des dents carnassières. On s’émerveillait de me voir prendre le pas sur toute la cavalcade. Ce n’était pas par légèreté, c’était par peur. Sur quoi je fis cette réflexion : Il se pourrait que le fameux Pégase n’ait dû qu’à semblable cause les attributs d’oiseau qu’on lui a prêtés, et que la tradition de ses ailes, et de son essor prodigieux jusqu’à la voûte éthérée, n’exprimât autre chose que la crainte des morsures enflammées de la Chimère.

Mes conducteurs, au surplus, s’étaient armés, dans l’attente d’un combat. L’un tenait une lance, l’autre une épée, celui-ci des javelots, celui-là un bâton. Tous avaient fait provision de cailloux, que nous fournissait en abondance le sentier pierreux où nous marchions. On voyait dans quelques mains des morceaux de bois pointus par un bout ; mais on comptait principalement sur des torches allumées, dont on s’était pourvu pour tenir les loups à distance. Enfin, nous étions, à une trompette près, en complet équipage de bataille. Nous en fûmes cependant quittes pour la peur ; mais nous n’évitâmes ce danger que pour tomber dans un autre bien autrement redoutable. Les loups, intimidés par ce vacarme de gens armés, ou écartés par la lumière des flambeaux, ou peut-être occupés sur un autre point, ne tentèrent pas d’incursion contre nous. Aucun ne se montra même de loin. Mais comme nous passions devant une grosse ferme, les gens qui l’exploitaient nous prirent pour une troupe de voleurs. Inquiets pour leur propriété, et aussi peu rassurés pour leurs personnes, les voilà qui lancent contre nous, avec les cris et excitations d’usage en pareil cas, une bande furieuse d’énormes chiens, dressés par eux à faire bonne garde, et bien autrement acharnés que loups ni ours ne furent jamais. Les éclats de voix de leurs maîtres irritant leur férocité naturelle, ils se ruent sur nous en bondissant de tous côtés à la fois, déchirent sans distinction bêtes et gens, et finissent par mettre par terre une bonne partie de notre monde. C’était vraiment une curieuse et non moins lamentable scène, de voir ces dogues monstrueux, ici happant un fuyard avec fureur, là luttant avec rage contre qui résiste, plus loin s’acharnant sur les corps gisants, et bouleversant tout notre pauvre convoi par leur rage et leurs morsures.

Au milieu de ce désarroi, un mal encore plus terrible vient fondre sur nos têtes. Grimpés sur leurs toits ou sur les hauteurs voisines, les paysans nous accablent tout à coup d’une grêle de pierres ; si bien qu’il n’y avait plus pour nous que l’alternative d’être déchirés de près ou lapidés de loin. Un de ces projectiles vint frapper à la tête une