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Page:Pétrone, Apulée, Aulu-Gelle - Œuvres complètes, Nisard.djvu/382

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femme qui était assise sur mon dos ; c’était précisément celle du chef de la caravane. Aux cris et aux sanglots que lui arrache la douleur, son mari accourt à son aide. Et voilà cet homme qui, tout en essuyant le sang dont sa femme est couverte, prend tous les dieux à témoins, et se met à crier plus haut qu’elle. Pourquoi cette barbare agression, ces atroces violences, contre de pauvres voyageurs accablés de fatigues ? quelles déprédations avez-vous à repousser ? Quelles représailles à exercer ? Vous n’habitez pas les repaires des bêtes fauves ou les rocs inhospitaliers des peuplades sauvages, pour verser ainsi le sang de gaieté de cœur. Ce peu de mots arrêta soudain la grêle de pierres, et mit fin aux incursions forcenées des chiens, qui furent rappelés. L’un des habitants parla ainsi du haut d’un cyprès : Nous ne sommes pas des brigands, nous n’en voulons pas à vos dépouilles. Nous ne songions qu’à repousser de votre part l’espèce d’agression dont vous vous plaignez. La paix est faite ; vous pouvez tranquillement continuer votre voyage. Il dit, et nous nous remettons en route, les uns se plaignant de coups de pierre, les autres de coups de dents ; et tous plus ou moins éclopés.

Après avoir cheminé quelque temps, nous atteignîmes un bois de haute futaie, entremêlé de riantes clairières tapissées de gazon. Là nos conducteurs jugèrent à propos de faire halte pour prendre quelque repos et donner les soins nécessaires à leurs membres diversement maléficiés. Chacun, de son côté, s’étend sur l’herbe, et, après avoir repris haleine, procède à la hâte à diverses sortes de pansements. Celui-ci se sert, pour étancher son sang, de l’eau d’un ruisseau voisin ; celui-là bassine ses contusions avec des compresses mouillées ; un autre rapproche avec des bandes les lèvres de ses plaies béantes. En un mot, chacun se fait lui-même son médecin.

Cependant, du haut d’un monticule voisin, un vieillard suivait des yeux cette scène. Un troupeau de chèvres paissant autour de lui indiquait assez sa profession. Un des nôtres lui demande s’il avait du lait ou des fromages à vendre ; mais cet homme se met à branler la tête, et dit : Ah ! vous pensez à boire et à manger, vous autres, et à vous donner du bon temps. Vous ne savez donc, personne de vous ; en quel lieu vous êtes ? Cela dit, il rassemble son troupeau et se hâte de décamper. Ce propos, cette brusque retraite n’inquiétèrent pas médiocrement nos pâtres, très empressés de savoir à quoi s’en tenir, et ne trouvant là personne à qui demander explication, quand survint un autre vieillard chargé d’années, et de grande taille, mais plié en deux sur un bâton, et semblant se traîner avec peine. Il pleurait à chaudes larmes, et sanglota de plus belle en nous voyant. Touchant tour à tour les genoux de chaque homme de la troupe : Au nom de la Fortune secourable, leur dit-il, au nom de votre bon génie (et puissiez-vous arriver tous en santé, comme en joie, à l’âge où vous me voyez !), secourez un vieillard au désespoir ; arrachez mon enfant au trépas, et rendez-le à mes cheveux blancs. Je me promenais avec mon petit-fils, doux compagnon de ma vieillesse. Il a vu un oiseau qui chantait sur une haie, et, en cherchant à s’en emparer, il a soudain disparu dans le fossé qui la borde, et dont les broussailles nous cachaient la vue. Il y a de quoi le tuer. Il n’est pas mort cependant, car je l’ai entendu se plaindre, et crier : Au secours, grand-père ! mais, faible et