Page:Pétrone, Apulée, Aulu-Gelle - Œuvres complètes, Nisard.djvu/384

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l’homme il ne resta que le squelette, étalant sa hideuse blancheur au pied de l’arbre funeste où il demeurait attaché.

Nous nous éloignâmes au plus vite de ce détestable séjour, laissant les habitants plongés dans une profonde tristesse ; et, après avoir cheminé tout un jour à travers un pays de plaines, nous arrivâmes rendus de fatigue à une cité notable et populeuse : ce fut là que nos pâtres résolurent de prendre domicile et de fixer leurs pénates. Ils comptaient y trouver de sûres retraites, au cas où les recherches eussent été poussées si loin ; et l’affluence des denrées dans cet heureux pays fut pour eux un attrait de plus. On nous laissa à nous autres bêtes de somme trois jours de repos pour nous rendre de meilleure défaite, après quoi l’on nous conduisit au marché. Sur l’enchère ouverte par le crieur, les chevaux et les autres ânes furent adjugés à très haut prix : il n’y eut que moi de rebuté généralement ; le premier coup d’œil donné, on passait avec dédain. Quelques-uns cependant maniaient et remaniaient mon râtelier, pour s’assurer de mon âge. Cette manœuvre m’excéda, et, au moment où un connaisseur, aux mains sales, me grattait pour la vingtième fois la gencive de ses doigts infects, je les lui mordis à les broyer sous mes dents. Cet échantillon de ma férocité ne contribua pas peu à dégoûter les amateurs qui en furent témoins.

Cependant le crieur, las de s’enrouer et de s’époumoner avec si peu de chance, se mit à exercer son esprit à mes dépens. Quand finirons-nous de chercher marchand pour une pareille rosse, vieille à ne pas se tenir sur ses jambes, sans corne aux pieds, dont le poil a perdu couleur, qui n’a de force que pour faire rage, qui n’a de bon que la peau, et encore pour servir de crible à passer des pierres, vrai cadeau à faire au premier qui aura du fourrage à perdre ? Ces plaisanteries du crieur égayaient beaucoup l’assistance ; mais cette Fortune impitoyable, que je ne pouvais éviter, où que j’allasse pour la fuir, ni adoucir en ma faveur, quoique j’eusse déjà souffert de ses coups, détourna encore sur moi ses yeux d’aveugle, et me suscita un acheteur de son choix. Sa malice vraiment ne pouvait mieux rencontrer. Jugez-en par ce portrait.

C’était un vieil infâme à tête chauve, mais qui ne laissait pas d’adoniser avec soin quelques mèches pendantes de cheveux grisonnants ; un échappé de cette canaille de carrefour, qu’on voit courir les rues et les places publiques, armés de cistres et de cymbales, et promenant la déesse syrienne, qu’ils font mendier à leur profit. Ce personnage parut tenté de moi au dernier point. Il demande au crieur de quel pays je venais. De Cappadoce, répondit l’autre. Bonne petite bête, sur ma parole. Vint la question de l’âge. Le crieur, toujours du même ton : Son thème de nativité, dit-il, a été établi par un astrologue, qui lui a donné cinq ans. Quant à la condition du sujet, l’homme des astres en sait plus que moi là-dessus. Je sais bien que je risque d’avoir affaire à la loi Cornélia, si je vends comme esclave un citoyen romain ; mais, bat ! achetez toujours : c’est sobre, c’est vigoureux ; à la ville comme au champ vous en tirerez bon service. Avec cet acheteur maudit, toujours une demande en amenait une autre. Est-il bien doux ? dit-il, en