Page:Pétrone, Apulée, Aulu-Gelle - Œuvres complètes, Nisard.djvu/385

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appuyant sur la question. Un vrai mouton plutôt qu’une âne, répondit l’autre. Jamais rétif, ne mord, ni ne rue ; on dirait une personne raisonnable cachée sous cette peau d’âne : voulez-vous en faire l’essai ? Mettez un peu votre tête entre ses cuisses, et vous allez voir comme il est patient.

Le crieur continuait son persiflage ; mais le vieux roquentin, s’apercevant qu’on le bafouait, sentit s’échauffer la bile. Vieille carcasse, s’écria-t-il, crieur maudit, puissent l’omnipotente et omnicréatrice déesse de Syrie, puisse le dieu Saba, Bellone et Cybèle, et la reine Vénus avec son Adonis, te rendre muet et aveugle, pour prix des sots quolibets dont tu m’étourdis depuis une heure ! Crois-tu, bâtard, que j’irai compromettre la déesse avec une monture indocile, pour voir au premier instant culbuter cette divine image, tandis que moi, misérable, il me faudra courir les cheveux épars, cherchant partout un médecin pour la divine estropiée ? En entendant ces mots, je me disposais à faire quelque gambade bien frénétique, afin que mon homme, sur cet essai de ma mansuétude, abandonnât l’acquisition. Mais son impatience de conclure le marché ne m’en laissa pas le temps. Il paya comptant dix-sept deniers, prix que mon maître, enchanté d’être débarrassé de moi, accepta sur-le-champ. Il me passe au cou une petite corde de jonc, et me livre à Philèbe (c’était le nom de mon nouveau maître), qui, s’emparant de ma personne, se hâte de me conduire à son logis. Il n’en eut pas plutôt touché le seuil, qu’il s’écria : Mesdemoiselles, je vous amène un charmant petit sujet dont je viens de faire emplette. Les demoiselles en question, qui n’étaient autres qu’une troupe d’efféminés voués au plus infâme libertinage, se mettent à danser de joie, et font entendre un charivari de voix cassées, rauques et discordantes, croyant trouver dans le nouveau venu quelque jouvenceau qui allait les relayer dans leur sale ministère. Quand ils eurent vu qu’il s’agissait non pas d’une biche en guise de fille, mais d’un baudet en guise de garçon, voilà tous les nez qui se froncent par ironie, et les sarcasmes qui pleuvent sur le patron. Il s’était, disaient-ils, procuré ce luron-là, non pour le service du logis, mais pour son usage personnel. Ah ! n’allez pas l’absorber à vous tout seul, ajoutaient-ils : il faut bien que vos petites colombes puissent parfois en tâter à leur tour. Tout en débitant ces sornettes, on m’attache à un râtelier près de là.

Il y avait dans ce taudis un jeune gars de forte encolure, excellent joueur de flûte, que la communauté avait acquis du produit de ses quêtes. Son office était d’accompagner de son instrument les promenades de la déesse, et de servir à double fin aux plaisirs des maîtres du logis. Le pauvre garçon salua cordialement ma bien venue, et mettant une large provende devant moi : Enfin, disait-il, tu vas me remplacer dans mon malheureux service. Puisses-tu vivre longtemps, être à leur goût longtemps, afin que je trouve, moi, le temps de me refaire un peu ! Je n’en puis plus. Ainsi parla ce jeune homme. Et moi, de ruminer piteusement sur les épreuves d’un nouveau genre que l’avenir semblait me garder.

Le lendemain, voilà tous mes gens qui sortent du logis dans le plus hideux travestissement, chamarrés de toutes couleurs, le visage bar-