Page:Pétrone, Apulée, Aulu-Gelle - Œuvres complètes, Nisard.djvu/387

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La déesse syrienne avait faim, disaient-ils ; il ne fallait pas une moindre offrande à son appétit. Leurs préparatifs terminés, mes gens se rendent aux bains, après quoi ils reviennent souper, amenant avec eux, comme convive, un robuste villageois, râblu, et outillé d’en bas comme il leur fallait. Ils ont à peine goûté de quelques légumes, que cette canaille en rut s’abandonne là devant la table à toute la frénésie de ses monstrueux désirs. On entoure le paysan, on le renverse tout nu sur le dos, et des bouches exécrables provoquent à l’envi sa lubricité par leurs immondes caresses. Mes yeux ne purent tenir à ce spectacle d’abomination. Et je voulus crier : O citoyens ! mais la voyelle O put seule franchir mon gosier, laissant tout son cortège de lettres et de syllabes en arrière. Ce fut, à la vérité, un O des plus sonores et des mieux conditionnés, qui certes n’avait rien que de naturel de la part d’un âne, mais qui ne pouvait se faire entendre plus mal à propos ; car la nuit d’avant, un âne avait été volé dans un hameau voisin ; et plusieurs jeunes villageois, pour le retrouver, battaient le pays avec un soin extrême. Ils entendent braire dans notre maison, et, persuadés qu’elle recèle en quelque coin le larcin qu’on leur a fait, ils veulent mettre la main sur leur propriété, et font irruption dans l’intérieur en nombre et à l’improviste. La tourbe détestable fut ainsi prise en flagrant délit d’infamie. Les voisins furent appelés ; on leur expose en détail cette scène de turpitude ; le tout assaisonné de malins compliments sur la pureté, la chasteté exemplaire des dignes ministres du culte divin.

Consternés d’un tel scandale, dont le prompt retentissement allait les mettre en horreur et en exécration aux yeux de la population tout entière, mes coquins se hâtent de rassembler leurs effets, et vers minuit décampent sans bruit de la bourgade. Ils étaient loin avant le lever du soleil, et quand il eut paru sur l’horizon, la troupe avait déjà gagné une solitude écartée. Là, après avoir longtemps conféré entre eux, ils se disposent à me mettre à mort. Ils me dépouillent de tout harnois, m’attachent à un arbre, et me sanglent de leurs fouets à mollettes d’os de mouton, presque jusqu’à me laisser sur la place. Il y en eut un qui fit mine de me trancher sans pitié les jarrets de sa hache, en réparation, disait-il, de l’esclandre où j’avais exposé sa pudeur ; mais le reste, moins par égard pour ma peau que par considération pour l’image gisante à terre, préféra me laisser la vie. On replace donc l’image sur mon dos, et, me menaçant du glaive, on arrive à certaine ville de renom. L’un de ses plus notables habitants, grand dévot d’ailleurs et zélateur du culte des dieux, averti de notre approche par le bruit des tambours et le cliquetis des cymbales, qui contrastait avec la mollesse du mode phrygien, accourt à notre rencontre, et réclame l’honneur d’héberger la déesse. C’est, dit-il, l’accomplissement d’un vœu. Sa maison était très spacieuse ; il s’empresse de nous y installer. Et le voilà prodiguant les adorations et les grasses offrandes, pour se rendre la divinité propice.

Dans cette maison, il m’en souvient, je courus le plus grand danger qui ait jamais menacé ma vie. Un fermier de notre hôte lui avait envoyé, comme hommage de sa chasse, un magnifique quartier de chevreuil. On avait accroché cette venaison derrière la porte de la cuisine, mais sans prendre la précaution de l’élever hors de