Page:Pétrone, Apulée, Aulu-Gelle - Œuvres complètes, Nisard.djvu/386

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bouillé de glaise, et le tour des yeux peints s’étaient affublés de mitres, et de robes jaunes en lin ou en soie. Quelques-uns portaient des tuniques blanches, bariolées de languettes flottantes d’étoffe rouge, et serrées avec une ceinture. Tous étaient chaussés de mules jaunâtres. On me charge de porter la déesse, soigneusement enveloppée dans un voile de soie ; mes gens retroussent leurs manches jusqu’à l’épaule, brandissent des coutelas et des haches, et s’élancent bondissant, vociférant au son de la flûte, qui exalte encore leurs frénétiques trépignements. La bande passe sans s’arrêter devant quelques pauvres demeures, et arrive devant la maison de campagne d’un seigneur opulent. Dès l’entrée, ils débutent par une explosion de hurlements. Puis ce sont des évolutions fanatiques, des renversements de tête, des contorsions du cou, qui impriment à leur chevelure un mouvement de rotation désordonnée. Leurs dents, par intervalle, vont chercher leurs membres, et avec leurs couteaux à deux tranchants ils se font aux bras mainte incision.

L’un d’eux l’emporta sur tout le reste par l’extravagance de ses transports. Tirant avec effort sa respiration du fond de sa poitrine, en homme que le souffle divin oppresse, il semblait en proie aux accès d’une sainte manie : comme si la présence d’un dieu ne devait pas fortifier l’homme, au lieu de lui apporter la souffrance et le délire ! Or, voyez comment le récompensa la céleste providence. Au milieu de son rôle d’inspiré, voilà qu’il s’accuse, qu’il invective contre lui-même comme coupable d’une révélation sacrilège, et veut, qui plus est, punir le forfait de ses propres mains. Il s’arme d’un fouet d’une espèce particulière à cette race d’équivoques débauchés, et qui se composait de plusieurs cordelettes de laine avec des nœuds multipliés. Le bout était garni d’osselets de mouton. Il s’en frappe à coups redoublés, cuirassé contre la douleur de si rudes atteintes par une force de volonté incroyable.

Vous eussiez vu, sous le tranchant des couteaux et les flagellations de ces misérables, le sol se souiller, se détremper de leur sang. Pour moi, témoin de tout ce sang répandu, je sentis naître dans mon esprit une supposition assez alarmante : s’il allait prendre fantaisie à cette déesse étrangère de goûter du sang d’âne, comme certaines personnes ont un caprice pour le lait d’ânesse ?

Enfin, soit lassitude ou satiété, ils firent trêve un moment à cette boucherie, et tendirent les plis de leurs robes à la monnaie de cuivre et même d’argent dont chacun s’empressa de leur faire largesse. On y joignit un tonneau de vin, du lait, des fromages, du blé et de la fleur de farine, de l’orge enfin, donnée par quelques bonnes âmes à l’intention de la monture de la déesse. Les drôles raflèrent le tout, en farcirent des sacs dont ils s’étaient pourvus pour cette aubaine, et qu’ils empilèrent sur mon dos. Grâce à ce surcroît de charge, j’étais à la fois temple et garde-manger ambulant. Voilà de quelle manière ces vagabonds exploitaient la contrée à la ronde.

Arrivés à certain hameau, comme une collecte aussi copieuse les avait mis en belle humeur, ils se préparèrent à faire bombance. Ils extorquent d’un habitant, sous je ne sais quel prétexte de cérémonie religieuse, le plus gras de ses béliers.