Page:Pétrone, Apulée, Aulu-Gelle - Œuvres complètes, Nisard.djvu/401

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

à son jardin. Là, tandis que mon homme bêchait, arrosait, se livrait, le dos courbé, aux divers soins de son état, moi je prenais du bon temps, et me régalais de la douceur de ne rien faire : mais les astres n’en accomplissaient pas moins leur révolution ; et jour par jour, mois par mois, se pressant à la file, l’année passa de la délicieuse époque des vendanges aux âpres rigueurs du Capricorne. Plus de jour sans pluie, plus de nuit sans frimas. Il manquait un toit à mon étable ; et, constamment exposé à la belle étoile, j’étais sans cesse aux prises avec le froid. Mon maître, par pauvreté, était hors d’état d’avoir pour lui-même, à plus forte raison pour moi, un toit de chaume ou la plus mince couverture. Il n’avait pour abri qu’une méchante hutte de ramée. Chaque matin, il me fallait pétrir péniblement une fange glaciale, ou me briser les sabots contre les aspérités du sol durci par la gelée. Ajoutez que je n’avais plus comme auparavant de quoi me remplir le ventre. Mon maître et moi, nous n’avions plus qu’un seul et même ordinaire ; et il était des plus chétifs. Quelques laitues amères qu’on avait laissé monter en graine en formaient le menu. Pour la saveur et la tendreté, autant aurait valu mâcher une poignée de verges.

Il nous arriva un soir, par un ciel sans lune, un propriétaire d’un village des environs, qui avait perdu son chemin dans l’obscurité, et qu’une forte averse avait trempé jusqu’aux os. Il fut cordialement accueilli, et trouva chez nous, sinon bon gîte, au moins un repos dont il avait grand besoin. Aussi promit-il à son bon hôte, en témoignage de sa gratitude, du blé et de l’huile de sa récolte, et, de plus, deux barils de son vin. Mon maître n’eut rien de plus pressé que de se munir d’un sac et d’outres vides. Il monte à cru sur mon dos, et nous voilà tous deux en route. Nous franchissons la distance, qui était de soixante stades, et nous arrivons chez l’homme en question, qui reçoit au mieux mon maître, et l’invite à prendre sa part d’un excellent dîner.

Nos deux convives en étaient à se faire mutuellement raison le verre à la main, quand leur attention fut attirée par le plus étonnant phénomène. Une des poules de la basse-cour se mit à courir çà et là, caquetant comme si elle avait envie de pondre. Ce que voyant le patron : O ma cocotte, dit-il, que tu es de bon rapport ! combien m’en as-tu fait gober de tes œufs tous les jours de l’année ! Allons, je vois que tu nous prépares un bon petit plat de ta façon. Holà ! garçon, dit-il, vite la corbeille aux couveuses, et mets-la dans son coin ordinaire. Le valet fit ainsi qu’il était enjoint ; mais la poule ne veut pas de sa place accoutumée. Elle s’en vient déposer précisément aux pieds de son maître une ponte tant soit peu précoce, et de nature à lui mettre martel en tête. En effet, ce n’était pas un œuf, c’était un petit poulet tout formé, emplumé, ergoté, qui se mit à glousser et à suivre sa mère. Mais voici bien un autre prodige, un prodige à faire dresser les cheveux. Sous la table même où se trouvaient les restes du repas, la terre s’ouvre profondément, et livre passage à un énorme jet de sang qui retombe en larges gouttes sur tout le service. Tout à coup, au milieu de la stupeur et de l’effroi causés par ces