Page:Pétrone, Apulée, Aulu-Gelle - Œuvres complètes, Nisard.djvu/402

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événements surnaturels, un domestique arrive tout courant du cellier, annonçant que le vin qui s’y trouvait, et dont le dépôt était de longue date, bouillonnait dans les tonneaux, comme s il eût été soumis au feu le plus ardent. En même temps, on vit des belettes traînant avec leurs dents un serpent mort. De la gueule d’un chien de berger sortit en sautillant une petite grenouille verte. Enfin, un bélier saisit le chien à la gorge, et l’étrangla d’un coup de dent.

À cette succession de sinistres présages, le maître du logis et ses gens furent frappés de stupeur. Que faire ? Par où commencer pour apaiser le courroux des dieux ? Quelle expiation sera plus efficace ? Combien de victimes ? Quelles victimes sacrifier ? On était encore sous l’impression d’effroi que cause le sentiment d’une catastrophe imminente, quand un jeune esclave vint annoncer au malheureux père de famille que les dernières calamités venaient de fondre sur sa maison.

Le bon homme avait trois fils, parvenus à l’âge de raison, et dont les talents et la conduite faisaient l’orgueil de sa vieillesse. Une ancienne amitié liait ces jeunes gens avec un pauvre homme possesseur d’un modeste manoir. Ce manoir touchait aux grands et magnifiques domaines d’un jeune seigneur riche et puissant, qui, héritier d’un nom antique et illustre, abusait de cet avantage pour se créer dans le pays une prépondérance factieuse, et y disposer de tout à son gré. Il agissait avec son humble voisin tout à fait en puissance ennemie. Il égorgeait ses moutons, enlevait ses bœufs, foulait aux pieds ses blés en herbe. Enfin, après l’avoir privé de son revenu, il voulut un beau jour le chasser de sa propriété ; et, soulevant une vaine dispute de bornage, il prétendit que tout le terrain était à lui. Le campagnard, homme tranquille du reste, dépouillé par l’avarice du riche, voulut du moins garder du champ paternel la place de son tombeau, et, tout inquiet, fit prier plusieurs amis de venir rendre témoignage au sujet de ses limites. Dans le nombre se trouvaient les trois frères, venus pour aider, selon leurs forces, leur ami persécuté.

La présence de tant d’adversaires n’intimida point ce furieux, ni même ne lui imposa le moins du monde. Il ne rabattit rien de ses prétentions non plus que de son insolence. On voulut le prendre par la douceur, et tenter sur son esprit turbulent des moyens de conciliation ; mais il y coupa court, jurant, par sa tête et celle de tout ce qui lui était cher, qu’il se moquait de tous ces arpenteurs ; qu’il dirait à ces gens de prendre le voisin par les oreilles et de le jeter hors de sa baraque. Ce propos révolta tous les auditeurs. L’un des trois frères répliqua d’un ton ferme qu’il avait beau se prévaloir de son bien pour trancher ainsi du tyran et du superbe ; que les pauvres, sous l’impartiale protection de la loi, savaient bien avoir raison des riches. Jetez de l’huile sur un foyer, du soufre sur un incendie ; armez du fouet les Euménides, et vous concevrez à quel degré la brutalité du personnage fut excitée par de telles paroles. L’excès de sa fureur le fit extravaguer. Il les menaça de les faire pendre tous, et leurs lois avec eux.

Il avait chez lui des chiens de berger et de