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Page:Pétrone, Apulée, Aulu-Gelle - Œuvres complètes, Nisard.djvu/403

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garde, d’une taille et d’une férocité extraordinaire, nourris des charognes qu’ils rencontraient dans la campagne, et qui étaient dressés à se jeter sur les passants. Il ordonne qu’on les lâche, en les excitant contre les gens qui se trouvaient là. Au son bien connu de la voix des bergers, la rage de ces animaux s’exalte, ils s’élancent sur les assistants, les mordent, les déchirent ; si l’on fuit, ils n’en sont que plus acharnés. Ce n’est bientôt plus qu’une boucherie de toute cette foule qui se presse. Au milieu de la mêlée, le plus jeune des trois frères heurte du pied contre une pierre, s’y meurtrit les doigts et tombe. Sa chute le livre en proie à ces monstres furieux. Ils ne l’ont pas plutôt vu à terre qu’ils le dépècent par lambeaux.

Aux cris déchirants qu’il jette dans son agonie, ses frères, le cœur navré, volent à son secours. Enveloppant leur bras gauche de leur manteau, ils essayent d’écarter les chiens de son corps à coups de pierres ; mais tous leurs efforts sont vains contre cette meute acharnée. Le malheureux jeune homme n’eut que le temps de leur crier : Vengez-moi de ce riche détestable. Et il expira tout déchiré. Les deux autres, poussés par le désespoir, et au mépris de leur propre danger, s’avancent contre leur ennemi et font voler sur lui une grêle de pierres ; mais cet homme de sang, dont la main n’était pas novice en fait de meurtre, frappe l’un d’eux d’un javelot au milieu de la poitrine, et le perce d’outre en outre. Déjà le sentiment et la vie ont abandonné la victime, et cependant le corps ne touche pas la terre ; car le trait qui l’avait traversé, ressortant presque en entier derrière son dos, s’était fixé au sol par la force du coup, et les vibrations de la hampe se communiquaient au cadavre ainsi suspendu.

Un valet de l’assassin, homme grand et robuste, accourt alors au secours de son maître, et, d’une pierre lancée de fort loin, cherche à atteindre le bras du troisième frère. Mais, contre leur attente, la pierre, manquant le but, ne fit que raser l’extrémité des doigts, et tomba sans effet. Le jeune homme à l’instant fit, avec une présence d’esprit singulière, tourner l’incident au profit de sa vengeance. Il feignit d’avoir le poignet rompu, et s’adressant à son barbare adversaire : Jouis, lui dit-il, de la destruction de toute une famille ; repais du sang de trois frères ton insatiable cruauté ; triomphe à ton aise du massacre de tes concitoyens : mais sache-le bien, tu auras beau usurper l’héritage du pauvre, reculer les bornes de ton domaine en tous sens, tu auras toujours des voisins. Ah ! faut-il que cette main, dont j’aurais abattu ta tête coupable, soit mise si fatalement hors de combat ! Cette apostrophe exaspéra le brigand, qui saisit son glaive et se précipita avec furie sur le jeune homme pour l’égorger de sa propre main ; mais il avait affaire à forte partie. Avec une énergie qu’on était loin de lui supposer, le blessé prétendu arrête le bras de l’assaillant d’une étreinte vigoureuse, et, brandissant lui-même le fer d’une main assurée, frappe à coups pressés le riche odieux, et lui fait rendre son âme impure. Cette exécution terminée, et pour se soustraire aux mains des domestiques qui accouraient, le vainqueur tourne contre lui-même le fer teint de sang de son ennemi, et se l’enfonce dans la gorge.

Voilà ce qu’annonçaient tant de sinistres