Page:Pétrone, Apulée, Aulu-Gelle - Œuvres complètes, Nisard.djvu/406

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emmené prisonnier. Plus de doute. Les recherches sont reprises avec plus de soin. On finit par découvrir le panier, le jardinier est tiré de sa cachette et traduit devant les magistrats. On traîna en prison le pauvre homme, qui dut payer de sa tête les frais de cette aventure. Du reste, ce furent des éclats de rire et des plaisanteries sans fin sur mon apparition à la fenêtre. De là le proverbe si connu : Qui voit l’ombre, voit l’âne.



LIVRE DIXIÈME.


Ce qu’il advint le jour suivant au jardinier mon maître, je l’ignore. Quant à moi, le même soldat qui s’était attiré une si verte correction par son incartade vint me prendre à l’écurie, et m’emmena sans que personne y trouvât à redire. Mon nouveau patron prit à son quartier, à ce qu’il me parut du moins, les effets qui lui appartenaient, et les chargea sur mon dos. Me voilà donc cheminant, tout à fait en belliqueux appareil, portant un casque éclatant, un bouclier à éblouir les yeux au loin, une lance de dimension formidable ; arme qui n’est d’ordonnance qu’en temps de guerre, mais que le fanfaron, pour imposer aux pauvres passants, avait artistement disposée, en épouvantail, au point culminant de ma charge. Après une marche assez facile en plaine, nous arrivâmes à une petite ville où nous prîmes gîte, non pas à l’auberge, mais chez un décurion. Mon maître, après m’avoir confié aux soins d’un domestique, n’eut rien de plus pressé que de se rendre près de son chef, qui commandait un corps de mille hommes. Je me rappelle que, peu de jours après, il se commit dans ce lieu même un acte de scélératesse inouïe et révoltante. Dans l’intérêt de mes lecteurs, j’en consigne ici le récit.

Le maître du logis avait un fils parfaitement élevé, modèle conséquemment de piété filiale et de conduite, tel enfin que chacun eût voulu être son père, ou avoir un fils qui lui ressemblât. Il avait depuis longtemps perdu sa mère ; son père s’était remarié, et avait de sa seconde femme un autre fils qui venait d’atteindre sa douzième année. Il arriva que la belle-mère, qui avait la haute main dans la maison de son mari (ce qu’elle devait moins à ses vertus qu’à sa beauté), soit entraînement des sens, soit effet d’une fatalité qui la poussait au crime, jeta des regards de désir sur son beau-fils. Mon cher lecteur, ceci n’étant pas une anecdote, mais une belle et bonne tragédie, je vais quitter le brodequin et chausser le cothurne.

La dame, tant qu’un feu naissant ne fit que couver dans son sein, réussit à dominer cette ardeur encore faible, et à l’empêcher d’éclater au dehors ; mais quand le cœur tout entier fut en proie à l’incendie, dont le dieu lui-même attisait la violence désordonnée, il n’y eut plus à résister. Elle simule alors une maladie, et feint que le corps souffre, pour cacher la plaie de l’âme. Amoureux et malades (c’est un fait bien connu) offrent dans leur personne mêmes symptômes d’altération et de langueur. Pâleur des traits, abattement des yeux, lassitude des membres, privation de sommeil respiration pénible