Page:Pétrone, Apulée, Aulu-Gelle - Œuvres complètes, Nisard.djvu/409

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nace encore sa belle-mère. Cet accent du désespoir fit naître une telle sympathie, excita si puissamment l’indignation du tribunal et même de la foule assistante, que, pour couper court à une instruction trop lente, à des dépositions qui n’en finissent pas, aux captieux ajournements de la défense, tous s’écrient d’une commune voix : Qu’on le lapide ! C’est une peste publique : que le public se fasse justice. Alarmés cependant pour leur propre sûreté, et craignant que cette fermentation, d’abord peu profonde, ne dégénère bientôt en violation de l’ordre public et de toute autorité, les magistrats emploient les remontrances auprès des décurions, les voies coercitives envers le peuple. Par respect pour les formes de justice traditionnelles, il faut un débat contradictoire, une sentence rendue judiciairement. Iraient-ils, au mépris de toute civilisation, ou pour imiter les violences du despotisme, condamner un homme sans l’entendre ? Un tel scandale serait-il, en pleine paix, donné aux siècles à venir ?

La raison prévalut. Ordre aussitôt au crieur de proclamer une convocation du sénat dans le lieu de ses séances. Chacun arrive, et prend la place que son rang lui assigne. À la voix du crieur, l’accusateur s’avance ; et, alors, seulement, l’accusé est appelé et introduit. Par application de la loi athénienne et des formes de juridiction de l’Aréopage, le crieur signifie aux avocats qu’ils aient à s’abstenir de tout exorde et de tout appel à la pitié. Ces détails, je les ai recueillis dans les nombreuses causeries que j’ai entendues sur ce procès. Du reste, l’accusation fut-elle chaudement poussée, habilement réfutée ? je n’en sais rien. Du fond de mon écurie, je n’ai rien entendu de l’attaque ni de la réplique ; je ne puis donc rien en rapporter. Ce qui est positivement à ma connaissance, le voici.

Les plaidoiries terminées, le tribunal décide que l’accusateur sera tenu de produire ses preuves, un cas de cette importance exigeant la pleine évidence, et ne permettant pas de procéder par conjecture. Avant tout, l’esclave, seul témoin, soi-disant, des faits articulés, sera représenté en justice ; mais ce gibier de potence n’était pas homme à s’émouvoir, ou de la gravité de la décision attendue, ou de l’imposant aspect de l’assemblée, ou du cri de sa propre conscience. Il avait son conte tout prêt, qu’il se mit à débiter imperturbablement comme l’expression de la vérité pure. Mandé, suivant son dire, par son jeune maître, il l’aurait trouvé dans l’exaspération d’un amour dédaigné, aurait reçu de sa bouche l’ordre de le venger par la mort du fils des mépris de la mère, et cela avec promesses splendides pour son concours discret, et menaces de mort en cas de refus. Un poison tout préparé lui aurait d’abord été remis pour le faire prendre au jeune frère, puis retiré ensuite par l’aîné, qui, craignant que son complice ne supprimât le breuvage et ne gardât la coupe comme pièce de conviction, se serait déterminé à le présenter lui-même. L’art de cette déposition, joint à l’accent de vérité que sut y mettre ce misérable, en affectant une terreur profonde, détermina la conviction du tribunal. Parmi les décurions, il n’était pas une voix favorable au jeune homme. Tous le tenaient pour atteint et convaincu, et passible de la peine d’être cousu dans un sac. Déjà, suivant l’usage immémorial, l’urne s’ouvrait pour recevoir une succession de bulle-