Page:Pétrone, Apulée, Aulu-Gelle - Œuvres complètes, Nisard.djvu/410

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tins unanimes, car une même formule y avait été inscrite par chaque main. Or, le scrutin une fois accompli, c’en était fait irrévocablement du coupable, dont la tête dès lors était dévolue au bourreau, lorsqu’un vieux sénateur, l’un des premiers de l’ordre par le crédit attaché à sa personne et l’autorité de son opinion, et qui exerçait la profession de médecin, couvrit tout à coup de sa main l’orifice de l’urne, comme pour arrêter l’émission de votes irréfléchis, et s’adressa en ces termes à l’assemblée :

Vieux comme je suis, j’ai le bonheur de n’avoir recueilli qu’estime dans ma longue carrière. Je ne vous laisserai pas accueillir une accusation calomnieuse et commettre un meurtre juridique ; je ne vous laisserai pas, sur la foi d’un misérable esclave, fausser le serment que vous avez fait de rendre la justice. Quant à moi, je ne puis fouler aux pieds toute religion, et mentir à ma conscience par une condamnation injuste. Voici le fait : Ce maraud vint me prier, il y a quelques jours, de lui procurer certain poison d’un effet instantané, dont il m’offrit cent écus d’or. Une personne, disait-il, atteinte d’une incurable maladie de langueur, avait recours à ce moyen pour en finir avec une vie de souffrance. Dans le bavardage que le drôle me débitait, je démêlai de l’imposture, et ne doutai pas qu’il ne s’agît d’un crime. Je livrai cependant la potion ; mais, prévoyant dès lors que l’affaire irait en justice, je n’acceptai le prix que sous condition. De peur, lui dis-je, qu’il n’y ait dans cet or des pièces fausses ou altérées, nous allons les remettre dans le sac, tu le scelleras de ton anneau, et demain nous ferons vérifier le tout par un changeur. Il n’a pas fait d’objection, et la somme a été cachetée. De mon côté, dès que je l’ai vu assigné à comparaître, j’ai envoyé un de mes gens chercher le sac dans mon laboratoire. Je mets la pièce sous vos yeux : que le témoin vienne reconnaître son cachet. C’est donc lui qui a acheté le poison. Comment cette circonstance est-elle mise sur le compte d’un autre ?

Le scélérat, à ces mots, se mit à trembler de tous ses membres. On vit la couleur vitale s’effacer de ses traits, et sa face se couvrir de la pâleur d’un spectre. Une sueur froide ruisselait sur tout son corps. Il ne savait sur quel pied se tenir, et se grattait la tête tantôt d’un côté, tantôt d’un autre, marmottant je ne sais quoi entre ses dents, si bien que sa culpabilité parut manifeste à tout le monde. Mais voilà mon fourbe qui, reprenant par degré son aplomb, se met à nier tout effrontément, et donne au médecin démentis sur démentis. Celui-ci, attaqué dans son caractère comme magistrat, et dans son honneur comme particulier, s’évertue à confondre le traître. À la fin, sur l’ordre des magistrats, les officiers de justice s’emparent des mains de l’esclave, et y trouvant un anneau de fer, le comparent avec l’empreinte du sac. Cette vérification leva tous les doutes. On ne tarda pas, suivant l’usage grec, à faire jouer le chevalet et la roue ; mais le coquin endurci montra dans la torture une constance incroyable, et résista même a l’épreuve du feu.

Par Hercule, s’écrie alors le médecin, je ne souffrirai pas que, contre toute équité, vous or-